précédemment
Alessio Atzeni
L'évangile de Marie
commentaire
23 "En marche!
24 Annoncez l'Evangile du Royaume."
L'homme est un pont, il est aussi un chemin. La santé, comme le bonheur, est sans doute dans la "marche". La souffrance ou la maladie (mahala en hébreu), c'est être "arrêté" (mis en cercle, tourner en rond), enfermé dans ces prisons du corps, de la pensée et de l'âme que sont la douleur, l'ignorance, la folie.
Aussi les grands mythes présentent-ils les voies de guérison comme des chemins où les symptômes douloureux sont à considérer comme des étapes, des haltes, où l'esprit, un moment, est cloué à la réflexion.
Mais là n'est pas l'auberge ni le port de l'âme vagabonde, de l'homme qui marche.
La voie est une, les chemins sont multiples; il y a les chemins de terre, de terres promises, faites d'exils et de retours; il ya les chemins de mers, de tempêtes, de naufrages et d'îles aux trésors incertains; il y a les ascensions célestes, les envols et les chutes icariennes, mais aussi l'Assomption sans retour; il y a les chemins de feu, où le voyageur est consumé sur place ou renaît de ses cendres tel le Phénix, laissant à la nuit sa provision d'éclairs.
Autant de métaphores à penser et d'aventures à vivre, pour aller, au-delà de ce qui nous enferme, nous clôture, sans jamais pouvoir nous contenir, vers "l'Echappée belle" du psychisme ou de l'âme qui, dans l'adhésion à ses limites, s'est ouverte à ce que la mort ne saurait définit.
Pour l'Enseigneur, comme pour tout Hébreu (selon l'étymologie que propose Philon d'Alexandrie: le migrant, l'homme qui passe), le malheur, c'est de s'arrêter, de s'identifier à une situation donnée, de se prendre pour ses symptômes; le bonheur, la santé et le salut sont, pour lui, dans la marche.
C'est pour cela qu'Il aura sans cesse à dire et redire à tous ceux qu'Il rencontre en chemin: "En marche!"
0n sait mieux aujourd'hui que le texte des béatitudes dans l'Evangile de Matthieu, plutôt qu'un appel à la passivité devant les épreuves, serait davantage à considérer comme une invitation à se mettre debout, à se relever, à se mettre en marche, quelles que soient les pesanteurs et les douleurs qui entravent le chemin.
"Bienheureux " serait, si on se souvient de son substrat sémitique, à traduire par "en marche", ce qui redonne au texte son énergie et son dynamisme.
"En marche, ceux dont le souffle est humilié.*"
En marche, ceux dont le souffle est coupé, empêché, par les émotions ou par la peur!
En marche, les humbles et les doux", votre douceur est force, la terre résiste aux violents, elle se donne à ceux qui la respectent: "Marche doucement sur la terre", disait déjà le vieil Indien, "elle est sacrée".
Faire les choses + doucement, ce n'est pas les faire + lentement ou + mollement, c'est les faire avec + de conscience et d'amour; on comprend alors pourquoi la terre est donnée en héritage aux doux et refusée aux violents.
"En marche, ceux qui pleurent, vous serez consolés."
Chouraqui traduit: "En marche, les endeuillés!" Il faudrait préciser ceux qui "font leur deuil": accepter que le passé soit passé, c'est en effet la condition même pour aller + loin.
Il ne s'agit pas de ne pas pleurer, d'être sans émotions, mais de ne pas se complaire dans ses larmes, de ne pas s'arrêter dans ses émotions, d'y être en devenir, en marche, vers une + haute sérénité et une + tendre maturité.
"En marche, les affamés et assoiffés de justice, ils seront rassasiés!" Celui qui a faim et soif ne demeure pas immobile, il est en "queste"... et la quête de la justice, càd de la sainteté, ne peut jamais se prétendre "terminée". Il ne s'agit pas d'être perpétuellement insatisfait, mais de savoir que l'homme et le monde sont infiniment perfectibles, il y a là une tâche sans fin.
"En marche, les coeurs purs, ils verront Dieu!" Pour voir l'autre, il est nécessaire que l'oeil soit vidé de ses a priori et de ses jugements, à + forte raison, pour voir Dieu, nous sommes invités à une "longue marche", celle du retrait de nos projections et des + belles d'entre elles, qu'on pourrait prendre pour des expériences spirituelles, voire pour Dieu, alors qu'elles n'ont "rien à voir" avec la Réalité qu'Il est: cela ressemble encore trop aux fantasmes de notre ego et à ses rêves infantiles de toute-puissance.
Nous connaissons les adjectifs, les qualités de l'Être; seuls les coeurs purifiés peuvent le goûter tel qu'Il est, "sans qualité", dans ce qu'Il a de "Saint", càd d'incomparable.
"En marche, les miséricordieux: il leur sera fait miséricorde!" Heureux ceux qui ont un coeur et qui savent demeurer sensibles aux souffrances et aux misères d'autrui. L'avenir est aux "purs et aux doux" et non aux "purs et durs" -ces prétendus parfaits de tous les intégrismes, "purs comme des anges, orgueilleux comme des démons", dangereux plutôt, comme tous les grands et petits inquisiteurs qui, au nom de la pureté, de la foi ou de la race, versent le sang...
"Celui qui comprend tout pardonne tout", disait déjà Platon. "Plus je connais, plus j'aime; plus j'aime, + je connais", dira + tard Catherine de Sienne. Plus mon coeur est pur, mieux il voit, alors + il est miséricordieux. Plus mon coeur est miséricordieux, mieux il voit, alors + il devient pur.
"En marche, les artisans de Paix, ils seront appelés fils de Dieu!" La paix est le fruit d'un artisanat; c'est la marche la + lente, la + patiente; elle ne peut se faire à coup de dollars ni par coups d'Etat; elle est le Fils de l'Homme et le Fils de Dieu qui sont en genèse en chacun de nous.
Le père terrestre de Yeshoua était un artisan, c'est auprès de lui que l'Enseigneur apprit à "raboter les âmes" comme on rabote et polit les bois les + durs, pour qu'ils puissent dans la beauté s'ajuster les uns aux autres et remplir leur "service".
"En marche, lorsqu'on vous insulte, que l'on vous persécute et que l'on dit faussement de vous toute sorte de mal à cause de moi! Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux. C'est ainsi, en effet, qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont devancés." Yeshoua ne dit pas: "Bienheureux les malheureux, réjouissez-vous des mauvais coups", mais:
"Ne vous laissez pas arrêter par les calomnies, les persécutions, les violences de toutes sortes. Faites-en une occasion de conscience et d'amour, éprouvez vous-même la patience (la passion) que j'ai exercée lorsque j'affrontais mes adversaires. C'est vraiment l'occasion de vivre "le grand exercice" qu'est l'amour des ennemis; vous découvrirez alors en vous "cette force terrifiante de l'humble amour" capable de "pardonner à ceux qui ne savent pas ce qu'ils font"
et, de continuer ainsi à les instruire
non plus seulement par les paroles,
mais aussi par les actes."
"En marche!
Annoncez l'Evangile du Royaume."
C'est par la puissance et la simplicité même de votre devenir que vous annoncerez le Royaume qui vient. Vous montrerez qu'il est possible qu'un autre Esprit, une autre conscience, règne sur vous, qu'un Être nouveau vous habite... Vous ne vivrez plus sous l'empire de votre passé, de votre inconscient ou de votre entourage. Vos actes seront déterminés du + intime de vous-même, là où nul ne vous force, là où c'est l'Esprit qui vous inspire, "Celui dont on ne sait, psychiquement, ni d'où Il vient, ni où Il va", mais dont on sait, ontologiquement, qu'Il vient du Père et qu'Il retourne au Père.
Il est ce Souffle conscient qui vient de cet espace innommable d'où naît l'inspir et où retourne l'expir, cet espace sans limites qu'il nous est donné parfois de goûter quand en nous tout est Silence.
Annoncez les informations, les enseignements nécessaires à cette transformation qui peut faire de l'homme un Humain dans sa plénitude.
Demeurez en marche sur cette voie d'humanisation et de divinisation;
que chaque jour dominent un peu moins en vous les peurs, les contraintes et les mensonges
- hérités de votre passé sans doute, mais auxquels, consciemment, vous consentez dans le présent -
et que chaque jour règnent un peu + en vous la liberté et l'Amour, fruits de vos + beaux rêves et de votre + pur désir auquel vous pouvez inconsciemment
- mais surtout consciemment, pour en goûter toute la saveur -
consentir dans le présent.
Evangile copte du IIè s.
(Maria Magdalena) traduit et commenté
par J.-Y. Leloup
* voir la traduction d'André Chouraqui de la 1ère béatitude, "Heureux les pauvres d'esprit" (Pneuma). C'est à lui que nous devons cette traduction-interprétation de "en marche". Comparer le texte de Mt55 dans les traductions de la Bible de Jérusalem et de la T.O.B. (Traduction Oecuménique de la Bible)
...à suivre
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art n°2800