








devenu théorie thérapeutique et pédagogique
Pouvons-nous penser qu'un de nos collègues
psychologues cliniciens ou un de nos confrères psychothérapeutes ou encore un de nos amis philosophes puisse faire partie d'un de ces autres camps? Oui, bien sûr, mais qui d'autre pourrait oser
un tel mélange des genres tout en remportant l'adhésion de la majorité d'entre nous?
Hiérarchie de ses centres (instinctif, mental et émotionnel), expression de son orientation et de son ombre la compulsion, manifestation de chacun de ces centres, à commencer par le centre mental (fixation et idée supérieure), le centre émotionnel (passion et vertu) et les instincts (conservation, social et sexuel) et enfin l'étude de son style de communication, son domaine de préoccupation et son aile ...
Carl Rogers, tantôt homme d'action et de détermination —"Je suis capable de faire preuve d'une détermination acharnée quand il s'agit de terminer un travail ou de gagner une bataille", tantôt homme de science —"La construction d'un modèle expérimental adapté, le principe des groupes de contrôle, le contrôle de toutes les variables sauf une, l'analyse statistique des résultats, tous ces concepts, je les absorbais sans m'en rendre compte, entre 13 et 16 ans, en lisant.", tantôt homme de sensibilité —"Je me perçois comme plutôt timide dans mes relations quotidiennes, mais aimant l'intimité avec autrui; capable d'une profonde sensibilité dans mes rapports avec les autres", voilà ce qui se dégage au premier abord du profil de Carl Rogers. Aucun centre ne semble prédominer, aucun centre ne semble être réprimé.
Si dans ces deux exemples, il ne cite pas son instinctif, celui-ci est pourtant bien là en trame de fond. Dans l'exemple du congrès, il est surprenant qu'il ne semble pas gêné d'avoir à l'issue de celui-ci décidé de réorienter soudainement sa vie pour devenir pasteur, une décision pourtant lourde de conséquences. Et s'il ne compare son activité à d'autres, c'est peut-être parce qu'il ne doute pas de sa capacité d'action.
L'indépendance et la détermination sont toujours présentes bien plus tard: "Je me rends compte avec quelle obstination j'ai suivi ma route, sans trop me préoccuper de savoir si j'étais ou non dans la ligne de mon groupe de référence." Ou encore "Je suis capable de faire preuve d'une détermination acharnée quand il s'agit de terminer un travail ou de gagner une bataille."
Enfin, à l'âge de 70 ans, que fait Carl Rogers? Il passe une grande partie de son temps à jardiner: "Faire pousser des fleurs est un passe-temps que je goûte profondément." Il ajoute "J'adore faire pousser les choses, les plantes, comme les idées et les êtres." Faire pousser met bien là encore tout le corps en mouvement tout en requérant de l'entraînement, de l'endurance, de la persévérance et de la patience: des qualités parfaitement appropriées pour décrire un centre instinctif bien ancré.
Concernant les émotions, Carl Rogers préfère le terme "je sens" (I feel): "C'est un terme que j'utilise énormément, et j'y attache une importance plus grande que purement émotionnelle." Il ajoute qu'il "considère qu'il exprime le sens personnel et sensibilisé de toute expérience", ce qui induit "une signification personnelle sentimentalisée" de l'expérience. En d'autres termes, est important ce que l’expérience présente fait remonter en lui du passé et qui constitue le lien avec la situation, le ressenti présent. Nous voyons bien là le rattachement du présent avec le passé, comme une juxtaposition qui n'est pas sans rappeler le mécanisme de comparaison continue du centre instinctif entre présent et passé.
Carl Rogers commente un passage douloureux de sa vie qui ressemble fort à une désintégration temporaire. Il suit alors en thérapie une cliente schizophrène, qu'il avait déjà traitée dans l'Ohio et qui, après déménagement, revint le consulter à Chicago. L'intense perturbation psychotique de cette cliente, qui lui avouait une "intense hostilité [et un] amour qui bouleversèrent complètement" ses défenses, le plongèrent dans une profonde dépression. Il dira avec déjà un certain recul: "Je m'entêtais à penser que je devais être capable de l'aider et je continuais à la revoir, bien après avoir perdu tout pouvoir thérapeutique et pour seulement entretenir ma souffrance. […] Je me sentais obligé de l'aider." Quand enfin, il prit conscience de la dépression dans laquelle il sombrait, il s'imposa à lui l'idée de "s'échapper": "Je devais partir sur-le-champ."Il prit la fuite avec son épouse Helen pour quelques mois. À son retour, il dira de lui: "J'étais encore assez profondément convaincu de mon incapacité totale en tant que thérapeute, de mon manque de valeur en tant que personne, et de l'absence de tout futur pour moi dans le domaine de la psychologie et de la psychiatrie." Il ajoute: "Mes problèmes étaient trop sérieux pour ne pas effrayer un membre de notre équipe en lui demandant de m'aider." Nous reconnaissons bien là tout le mécanisme de désintégration: tout d'abord l'orientation d'acceptation couplée à celle d'hyper-loyauté qui lui donnent le devoir d'aider celle qui lui est connue et fidèle, puis le mécanisme de peur qui s'enclenche lorsque la dépression devient trop profonde et la fuite ici qui l'accompagne. Viennent ensuite le doute et la mésestime de soi et la suspicion que ses problèmes effraient ses collègues.
Ce dernier exemple nous permet de mieux appréhender la hiérarchie des centres de Carl Rogers et de percevoir le centre instinctif comme centre préféré, suivi du centre mental en support et du centre émotionnel en centre réprimé.
"La vie, dans ce qu'elle a de meilleur, est un processus d'écoulement, de changement où rien n'est fixe." Si Carl Rogers avait écrit à la suite de cette phrase: alors à quoi bon résister? Cela aurait été parfaitement congruent2 avec sa personnalité.
Voilà sans doute un des secrets de l'approche rogérienne. Une capacité d'écoute hors du commun, transmise par une posture apaisante, qui génère un doux sentiment de soulagement. Le soutien de l'ennéatype 9 est, là encore, palpable: "Si je puis ressentir une possibilité de faciliter un changement, je fais feu de mes quatre fers" Et aussi: "Je donne beaucoup de prix à cette capacité que j'ai de faciliter un changement, de libérer les gens pour leur permettre d'évoluer."
Précisons également l'intérêt de Carl Rogers pour les grandes causes. Dès la fin de ses études, il écrira un article sur La source de l'autorité chez Martin Luther King, puis un mémoire sur Le pacifisme de John Wycliff3, deux humanistes notoires. Rappelons d'ailleurs qu'au cours de sa vie, Carl Rogers s'est engagé dans des ateliers de la paix dans de nombreux pays, de l'Afrique du Sud à la Pologne, en passant par le Brésil et l'Australie. Jimmy Carter reconnaissait en lui "un faiseur de paix universellement connu et hautement respecté". Carl Rogers sera célébré deux fois de suite comme "l'humaniste de l'année" par l'Association Humaniste Américaine
"J'ai souvent été un fauteur de troubles. C'est que j'ai été impliqué dans toutes sortes de conflits, de batailles professionnelles. Je me rends compte aujourd'hui que j'ai toujours adopté une stratégie qui consistait à sauter l'obstacle."
Malgré cet évitement, ne pensons pas un instant que la détermination du personnage s'amenuise: "Tout au long de ma vie professionnelle, j'ai pensé qu'il était stupide et dommage de combattre directement pour réaliser mes buts." La stratégie du saut de l'obstacle est encore ici perceptible, avec toujours en toile de fond l'approche du fin diplomate: combattre directement non, mais indirectement sûrement, comme il nous laisse le discerner à propos d'un conflit avec des collègues psychiatres: "Il s'ensuivit une longue et amère bataille, avec de nombreux revirements; mais pour finir, je gagnai."
Un événement majeur de la vie de Carl Rogers est son voyage en Orient alors qu'il n'a que 20 ans. Choisi par le WSCF (World Student Christian Federation) avec 11 autres camarades pour représenter les étudiants américains à la conférence internationale du WSCF à Pékin, il vivra là une très grande stimulation intellectuelle qui initiera une profonde transformation de ses idées, notamment religieuses. Il écrivait ses changements dans son journal et, n'en pouvant plus de garder tout cela pour lui, il envoya finalement une copie de son journal à ses parents, dont les réactions mettront deux mois à lui parvenir: "Lorsque je connus leurs réactions, j'avais complètement changé de point de vue. C'est ainsi qu'avec le minimum de douleur, je brisais les liens intellectuels et religieux qui m'attachaient aux miens." Il ajoute: "Ce voyage en Chine […] m'a permis d'éviter les difficultés qu'il y a à rompre avec une famille." Son retour aux États-Unis et la confrontation avec sa famille seront sans doute l'origine de l'ulcère précoce qu'il développera. Toujours concernant son indépendance intellectuelle et religieuse suite à son voyage, il précise: "J'ai également la chance d'avoir rompu avec ma famille et mes croyances religieuses, proprement et promptement, sans trop d'amertume, ni trop de rébellion."
L'évitement du conflit est le socle sur lequel s'est construite l'approche d'auto-direction5 de Carl Rogers. Contrairement à la traduction française communément répandue de non-directivité, l'auto-direction est un concept plus large qui englobe autodétermination, autorégulation et auto-efficacité, et qui vise à faire confiance au client pour trouver ses propres réponses à ses questions: une manière habile d'éviter de faire face à des résistances et à un conflit potentiel.
"J'apparais sous mon plus mauvais jour si l'on attend de moi un rôle de leader ou simplement de personnage impressionnant… Je me renferme dans ma coquille et me comporte comme la personne la plus terne de la compagnie."
Face à une importante démonstration à mener à Harvard sur l'enseignement centré sur l'élève, où il ne sait comment aborder le sujet, Carl Rogers procrastine: "À ce moment-là, je partais pour Mexico… Là, je passais mon temps à peindre, à écrire, à faire de la photographie" Parfois, plus critique quand la narcotisation et l'inertie se conjuguent, il n'hésite pas à dire de lui-même: "J'ai tendance à m'encroûter dans ce que je fais"
Au travers de ces quelques exemples, nous pouvons déduire que Carl Rogers choisit comme "narcotique" tantôt les loisirs, tantôt le travail. L'angoisse du conflit active le mécanisme de défense de narcotisation, qui conjointement amène Carl Rogers à la paresse à se connaître et à l'oubli de soi.
"La compréhension comporte un risque. Si je me permets de comprendre vraiment une autre personne, il se pourrait que cette compréhension me fasse changer." Une acceptation et un soutien tel, qu'il pourrait oublier ce qu'il est et ce qu'il pense : c'est bien là le mécanisme de la fixation de l'ennéatype 9.
Quand son épouse Helen accepta sa demande en mariage, il écrit rétrospectivement sur le ton de la surprise: "Elle m'aime ! Elle m'aime moi !" Comme s'il ne méritait pas de recevoir l'amour d'une autre, lui qui avait alors sans doute beaucoup de mal à s'aimer lui-même. Carl Rogers renforce ce point: "l'idée, semble-t-il, ne me serait jamais venue de demander de l'aide à quelqu'un. Cette attitude aussi était, pour moi, caractéristique." Le méritais-je?, pourrions-nous ajouter.
Quand le 9 découvre son idée supérieure, il apprend enfin à s'aimer tel qu'il est et à recevoir l'amour d'autrui.
"Je m'intéresse à des tas de choses ; comme la photo couleur… J'aime jardiner et soigner chaque plante et chaque bourgeon. J'aime construire des mobiles. Je m'intéresse à la peinture et j'ai moi-même manié le pinceau, j'aime la menuiserie. Je m'intéresse aux cultures étrangères et plus particulièrement aux primitifs." Et il ajoute immédiatement: "C'est assez dire que mon travail professionnel ne représente pas les tenants et les aboutissants de mon existence."
Pour faire émerger ses sentiments, Carl Rogers a besoin d'un certain temps: "Généralement, il y a un décalage, soit de quelques moments, soit de quelques jours, parfois de plusieurs semaines ou de plusieurs mois, entre le moment de mon expérience et le moment de ma communication." Et quand il arrive à exprimer ce qu'il ressent, il découvre alors la vertu de l'ennéatype 9 qu'est l'activité sur soi,et les bienfaits qui l'accompagnent: "Dans ces cas, je ressens quelque chose, mais ce n'est que plus tard que j'en deviens conscient, que j'ose en parler, lorsque les choses se sont assez refroidies pour que je puisse me risquer à en parler avec un autre (observons au passage la compulsion à l'œuvre). C'est pourtant une expérience tellement satisfaisante de pouvoir communiquer ce qui se passe en moi au moment où cela se produit. En ces moments, je me sens authentique, spontané et vivant."
Carl Rogers apprend à se connaître et à se dévoiler, car il comprend que c'est bon pour lui et pour le groupe. L'orientation est toujours présente, et elle devient ici un vecteur de travail sur soi.
"Un thème important de ma vie est la sécurité de mon existence personnelle quels que soient les avatars de ma vie professionnelle." Si cette phrase démontre nettement l'expression du sous-type conservation, nous retrouvons très peu d'autres traces de ce sous-type à la lecture de l'autobiographie de Carl Rogers.
L'hypothèse la plus probable semble que Carl Rogers ait construit sa sécurité personnelle surtout au travers d'une union forte avec son épouse, ce que nous verrons plus bas dans l'analyse de l'instinct sexuel.
Le jeune Carl Rogers semble quelque peu inhibé sur le plan des relations humaines. De son enfance, il dit n'avoir fréquenté "pratiquement personne en dehors de la famille"
En effet, c'est peut-être dans les groupes de rencontres que l'on décèle le plus nettement la manifestation du sous-type social de l'ennéatype 9: la participation périphérique. Son rôle d'animateur est non directif tant sur le but visé —"Je n'ai habituellement pas de but spécifique pour un groupe particulier et je désire sincèrement que le groupe définisse lui-même ses orientations"— que sur la méthode —"Le processus du groupe est bien plus important que mes déclarations ou mon comportement; ce processus aura lieu si je ne me mets pas dans son chemin". Largement centré sur le groupe, il se repose sur lui: "Je laisse en toute confiance le groupe développer son propre potentiel et celui de ses membres". Il admet volontiers son souhait profond: "Mon espoir est de devenir au fur et à mesure autant participant qu'animateur."
"Helen et moi nous nous fiançâmes le 29 octobre 1922, ce qui m'emplit d'un bonheur extatique… Je nageais dans la joie." Quand enfin elle dit oui à sa demande en mariage: "J'étais au septième ciel. Je marchais sur des nuages."
Reprenons aussi la dédicace de son ouvrage Réinventer le couple: "À Helen, une personne à part entière, généreuse, affectueuse, courageuse, ma compagne sur nos chemins séparés mais entrecroisés du progrès, à celle qui a enrichi ma vie, la femme que j'aime et — heureusement pour moi — mon épouse." Nous percevons bien ici l'importance qu'Helen revêt dans sa vie. La relation avec son épouse est très largement valorisée dans ses écrits et fut vraisemblablement le socle de sa sécurité personnelle.
En effet, il dit de son adolescence qu'il n'eut jamais "d'amitiés durables dans aucune" des écoles où il est passé, et ajoute qu'il connaissait les autres élèves "de manière superficielle". Au lycée, il n'eut non plus "jamais de véritable flirt". Finalement, il le dit lui-même: "Je ne suis pas particulièrement doué pour provoquer la naissance d'une relation." Nous reconnaissons bien là encore le sous-type sexuel, mais cette fois-ci sous-utilisé.
Nous pouvons conclure que l'instinct sexuel était chez Carl Rogers le plus prononcé des trois et son sous-type est donc sexuel.
L'habilité naturelle à faire des discours un peu longs, vagues, voire paradoxaux, est un autre trait caractéristique de l'ennéatype 9. Ce langage hypnotique est reconnaissable dans certains de ses écrits, à commencer par la présentation qu'il fait de lui-même lorsqu'il se décrit (passage cité en introduction de cet article). Ses descriptions de processus le sont parfois tout autant: "Les individus n'évoluent pas à partir d'un point fixe et “homéostatique” vers un nouveau point fixe, bien que ce genre de processus soit possible. Au contraire, le continuum le plus significatif se développe à partir d'un point fixe vers le changement, à partir d'une structure rigide vers une fluidité, à partir d'un état de stabilité vers un processus évolutif." Ou encore: "Tout être est une île, au sens le plus réel du mot, et il ne peut construire un pont pour communiquer avec d'autres îles que s'il est prêt à être lui-même et s'il lui est permis de l'être."
C'est dans ses interviews filmées que le langage hypnotique de Carl Rogers est de loin le plus perceptible. Le langage hypnotique de l'ennéatype 9 devient alors une réalité auditive. Son ton et son rythme de voix, ses temps de pause et même son ample respiration sont à la hauteur d'un praticien confirmé en hypnose. L'hésitation dans les mots accentue encore cette perception.
N'est-ce pas là l'expression remarquable d'un signe distinctif du savoir-faire des ennéatypes 9 qui consiste à savoir adopter l'attitude la plus facilitante qui soit pour mettre les gens dans de bonnes dispositions?
Illustrons maintenant le domaine de préoccupation préféré de l'ennéatype 9: la spiritualité. Revenons donc sur le congrès organisé par le mouvement des étudiants bénévoles à des moines dont le slogan était: "Notre génération évangélisera le monde." Voici comment Carl Rogers se positionnait par rapport à ce slogan: "Religieux que j'étais, je trouvais cet objectif enthousiasmant." Il montre bien là son implication et la profondeur de sa foi. Rappelons qu'il s'engagea alors dans une voie pour devenir pasteur, et c'est en tant que membre actif du YMCA (Young Men Christian Association) qu'il part peu de temps après pour ce voyage stimulant en Asie. Là, les riches échanges font émerger son scepticisme: "Peut-être Jésus était un homme comme les autres et non d'essence divine." Finalement quelque temps plus tard encore: "Je décidais de m'écarter du ministère religieux parce que, tout en m'intéressant profondément aux questions sur le sens de la vie, […] il m'apparaissait impossible d'exercer une profession où il me faudrait croire en une doctrine religieuse particulière."
Même bien plus tard, cette dichotomie continue de s'afficher: "Une autre préoccupation dominante est, pour moi, la tension et la division que je ressens à l'intérieur de moi-même entre la sensibilité et la subjectivité du thérapeute, et l'objectivité rigoureuse du chercheur." La tension entre la croyance subjective et le scepticisme objectif.
"J'ai eu la chance de n'avoir jamais eu de maître à penser et je n'ai eu, dans le domaine professionnel, ni à m'assujettir, ni à combattre une image paternelle. […] Je n'ai aucune dette intellectuelle ou émotionnelle à l'égard de quiconque, ce qui m'aide à penser pour mon compte, sans aucun sentiment de culpabilité ou de trahison." Sans assujettissement et sans dette vers quiconque, pourrions-nous déceler ici une première influence de l'aile 8?
Prenons aussi ce court exemple de description qu'il fera d'une collaboration de travail avec un collègue consultant-psychiatre: "C'était un personnage assez faible et, pour l'essentiel, nous lui disions ce qu'il fallait dire et il allait dans notre sens, donnant ainsi plus de force et d'autorité à nos recommandations." Faible, force, autorité, voici de nouveau un vocabulaire qui évoque la posture de pouvoir qui se dégage de l'ennéatype 8.
Une dernière piste est l'ambiance familiale dans laquelle il grandit: "On y maniait volontiers l'humour non sans une certaine méchanceté. Nous nous taquinions sans pitié". Méchanceté et taquineries sans pitié ressemblent beaucoup à l'humour incisif dont est capable l'ennéatype 8.
Nous privilégierons donc l'hypothèse de l'aile 8 à l'aile 1, compte tenu des quelques exemples illustrés ci-dessus.
Les quelques exemples cités ci-dessus sont une rapide illustration des mécanismes égotiques de Carl Rogers, mais suffisent néanmoins à préciser son ennéatype.
Cette analyse de la personnalité de Carl Rogers au travers du prisme de l'ennéagramme permet de mesurer entre autres à quel point l'orientation de l'ennéatype peut être la manifestation du meilleur et du pire. Le pire, c'est l'enfermement dans ses mécanismes égotiques, le repli sur soi, l'inaction, la peur et le désarroi: ce que Carl Rogers a vécu notamment auprès de sa cliente schizophrène. Le meilleur c'est la connexion à l'essence, la partie la plus libre et profonde de notre être, l'ouverture aux autres et la contagion de l'orientation à l'environnement qui comprend alors l'apport substantiel de cette qualité intrinsèque à l'ennéatype dans l'harmonie de l'Être: ce que Carl Rogers fit découvrir à sa noble mesure au travers de ses travaux scientifiques et des groupes de rencontre qu'il anima et continue de faire répandre aujourd'hui.
Sources:
André de Peretti, La vie et l'œuvre de Carl Rogers,
Journal des Psychologues, nov 1987
Vidéos Carl Rogers sur YouTube
1 En référence au texte de Françoise Hatchuel : Un déni du conflit devenu théorie pédagogique.
2 Carl Rogers définit la congruence comme l'accord entre l'expérience, la conscience et la communication.
3 John Wyclif était un théologien du XIVe s. aux idées novatrices, qui se positionnait notamment contre l'esclavage et les guerres et prônait l'idée qu'il existait un lien direct entre Dieu et l'humanité, sans l'intermédiaire de l'église et des prêtres. Sans doute, un premier lien avec la dichotomie de l'ennéatype 9.
4 Rappelons ici l'ironie du sort qui, dans le cadre de sa participation aux débats publics de l'Université du Wisconsin, fait plancher le jeune étudiant Carl Rogers sur le thème qui lui était alors encore inconnu: l'arbitrage obligatoire des conflits sociaux.
5 Lire à ce sujet l'article très éclairant de Philippe Carré: Rogers, ou de l'autodirection.
Jean-Philippe Poupard
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