Précédemment
rappel:
Jésus lui dit:
"Marie!"
Elle se retourna et lui dit en hébreu:
"Rabouni!"
Ce qui signifie "Maître chéri". (Jean, XX,16)
Jésus et Marie-Madeleine:
l'union du masculin et du féminin
Cette nouvelle vision de Marie-Madeleine fit sur moi l'effet d'une bombe. Elle m'incita à poursuivre me recherches. Marie-Madeleine apparaît peu dans le Nouveau Testament, elle est en revanche omniprésente dans les Evangiles des 1ers temps du christianisme. En 397, lors du concile de Carthage, l'Eglise avait déclaré ces textes hors-la-loi, les qualifiant d'"apocryphes" (du grec apokruphos qui signifie "soustrait au regard, secret").
"Apocryphes" ne signifie donc pas qu'ils soient faux.
Dans ces Evangiles secrets, le lien qui unit Jésus et Marie-Madeleine est rapporté dans toute son ampleur. Ainsi que la misogynie de Pierre. Il affirme haut et fort que "les femmes ne sont pas dignes de la vie éternelle¹" et, à ce titre, demande explicitement² à Jésus d'exclure Marie-Madeleine.
Je m'appuierai ici sur les Evangiles de Philippe, de Pierre, de Barthélemy, de Thomas et sur celui qui est attribué à Marie-Madeleine elle-même: l'Evangile selon Marie de Magdala, dans lequel elle est souvent appelée Myriam. Dans la plupart de ces écrits, Jésus est à ce point proche d'elle que cette relation éveille la jalousie des autres disciples:
Les autres disciples Le virent aimant Myriam, ils Lui dirent:
"Pourquoi l'aimes-Tu plus que nous tous?"
Il répondit:
"Comment se fait-il que je ne vous aime pas autant qu'elle?"³
Ou encore, toujours dans l'Evangile de Philippe:
Jésus aimait Myriam plus que tous les disciples.
Dans certains de ces textes retrouvés à Nag Hammadi en 1945 dans le sable du désert d'Egypte, Jésus appelle Marie "la bienheureuse en son élocution*" ou encore "celle qui peut concevoir le Tout". Ce qui n'est pas rien.
Elle aurait été choisie par Jésus pour recevoir une révélation**. Ce choix suscite à nouveau une vive réaction de Pierre:
Est-il possible, dit-il que le Seigneur se soit entretenu ainsi avec une femme sur des secrets que nous, nous ignorons? Devons-nous changer nos habitudes; écouter tous cette femme? L'a-t-il vraiment choisie et préférée à nous***?
Des secrets? Il semblerait qu'il s'agisse des aspects + intérieurs, spirituels et mystiques du christianisme. Par opposition à la religion officielle, institutionnelle et moraliste. Contrairement à la tradition des 1ers temps, les catholiques communient seulement au pain. Or, le vin est le symbole de la grâce, de la vie intérieure, spirituelle. Il est aujourd'hui réservé aux seuls prêtres. Comme si ce versant du christianisme avait été confisqué aux fidèles.
Comme si le versant féminin du christianisme leur avait été confisqué.
Et pour cause. Dans ces Evangiles secrets, il est par ex dit et répété que
"Dieu est en nous".
Affirmation qui, à elle seule, si elle avait été communément admise, aurait considérablement affaibli le pouvoir politique du pape et de l'Eglise ^_^. Les structures patriarcales en auraient été profondément ébranlées. Bien d'autres affirmations sont tout aussi dérangeantes:
"Il n'y a pas de péché ¤", "N'imposez aucune règle¤¤".
L'information la + troublante pour l'Eglise et pour les mentalités patriarcales se trouve dans l'Evangile de Philippe. il y est clairement indiqué que Myriam de Magdala était la compagne de Jésus¤¤¤.
Trois marchaient toujours avec le Seigneur. Marie sa mère, et la soeur de celle-ci, et Myriam de Magdala, que l'on nomme sa compagne, car Myriam est sa soeur, sa mère et sa compagne#.
Et Philippe de préciser: "Il l'embrassait souvent sur la bouche.¹¹"
Pourquoi Jésus n'aurait-il pas eu de sexualité? Selon le dogme chrétien, il est à la fois pleinement homme et pleinement Dieu. Aucune raison théologique ne saurait donc l'en empêcher. Au contraire. Valeurs divines et valeurs humaines sont à égalité dans le christianisme. C'est là son originalité par rapport aux autres religions. Ni mépris de Dieu au nom de la chair ni mépris de la chair au nom de Dieu¹². C'est pour l'union de ces 2 natures que les Pères de l'Eglise ont toujours lutté. Saint Jean, par ex, combattait avec force ceux qui rejetaient la chair par mépris de la matière et niaient ainsi la réalité concrète et la plénitude de l'humanité du Christ¹³.
Bien des auteurs## soulignent que le baiser sur la bouche signifie le partage du même souffle, d'un même esprit. Certes. Il est bien connu qu'il y a plusieurs niveaux d'interprétation de l'Evangile, tant historiques que symboliques. Les uns n'empêchent pas les autres. L'union de Jésus-Christ et de Marie-Madeleine est un fait historique, puisqu'il a été un archétype et un symbole. Mais de quoi?
Levi prit la parole:
"Pierre, tu as toujours été un emporté;
Je vois maintenant t'acharner contre la femme,
comme le font nos adversaires.
Pourtant si l'Enseigneur l'a rendue digne,
Qui es-tu pour la rejeter?
Assurément, l'Enseigneur la connaît très bien...
Il l'a aimée plus que nous.
Ayons donc du repentir,
Et devenons Homme dans son entièreté.### "
Dans le texte original, le mot utilisé pour "Homme" est anthropos, autrement dit "être humain" et non pas andros, qui signifierait "homme" au sens masculin du terme. Devenir des êtres humains à part entière, homme et femme à la fois, c'est le défi qu'au travers Marie de Magdala, le Christ, semble-t-il, lance à l'humanité. Le thème revient à plusieurs reprises dans l'ensemble des Evangiles apocryphes. Marie-Madeleine le dit et le répète:
"Toute femme qui se fera Homme entrera dans le royaume de Dieu¹."
Autrement dit, trouvera la paix intérieure. Ou encore:
"Il nous appelle à être pleinement humains.◊"
Quant à Thomas, il écrit:
Lorsque vous ferez les 2 êtres 1 [...] que vous ferez le dedans comme le dehors, le mâle et la femelle en un seul, afin que le mâle ne soit plus mâle et que la femelle ne soit plus femelle [...], alors vous entrerez dans le Royaume ◊◊.
Dieu est aussi une femme
Pour résumer, lorsque les pôles masculin et féminin en nous sont réunis, nous trouvons la paix intérieure. Autrement dit, nous entrons dans le Royaume, autrement dit, nous rencontrons Dieu, chacun selon ses croyances et peu importe ici qu'il soit chrétien, musulman ou hindouiste. Un peu comme la prise mâle dans la prise femelle laisse passer le courant électrique et permet d'allumer la lumière.
Comme Jung l'a redécouvert près de 2000ans + tard, nous sommes tous destinés à conjuguer les aspects féminin et masculin de notre être. Nous sommes appelés à célébrer des noces intérieures dont le mariage, à l'extérieur, serait "seulement" le symbole.
Notre besoin souvent absolu, voire compulsif, de rencontrer l'âme soeur soudain s'éclaire d'un nouveau jour. Il serait aussi le reflet du désir de notre âme de rencontrer Dieu. Sur terre (càd à l'extérieur de nous avec une compagne ou un compagnon) comme au ciel (càd à l'intérieur de nous). Un message qui vient comme en écho du tout 1er récit de la création:
Dieu fit l'homme à son image,
A l'image de Dieu il le créa,
Homme et femme il les créa ◊◊◊.
Symboliquement,
- l'homme représente la loi avec son cortège de règles, d'interdits, d'ordre, d'autorité.
- La femme symbolise l'amour qui comprend et accepte tout.
L'alliance de la Loi et de l'Amour, de l'ouverture et de la fermeté, est nécessaire pour engendrer le Verbe, càd l'acte juste. La Loi est la face masculine de Dieu, l'Amour sa face féminine♦. Par leur union, Jésus-Christ et Marie-Madeleine nous montrent un chemin de réconciliation intérieure.
Je ne savais pas de quoi parlait le Da Vinci Code quand je me suis rendue à Vézelay. Lorsque + tard je l'ai lu, j'ai compris la raison de son succès. Rien à voir avec sa qualité littéraire, ni avec sa véracité historique toute relative, mais plutôt au message que, sous forme symbolique, il délivre. Par le biais d'un roman accessible au + grand nombre, l'auteur véhicule -peut-être à son insu- une vérité longtemps occultée par l'Eglise. Il redone sa juste place, aux côtés du Christ et à égalité avec lui, à une femme. Et non seulement à une mère. Grâce à elle, nous découvrons que Dieu est aussi une femme. Il ne tient qu'à nous de la ressusciter dans nos vies.
V. Colin Simard
¹ Evangile selon Thomas, 114
² Ibid.
³ Evangile selon Philippe, 44b, 45
* Dans Pistis Sophia
** Evangile selon Myriam, XVII, 9-20
*** Ibid, XVII, 18-22
¤ Evangile selon Myriam, VII, 15
¤¤ Ibid IX, 1
¤¤¤ Evangile selon Philippe, LIX, 6-11
# Ibid
¹¹ Ibid, LXIII, 34-64
¹² Eugraph Kovalesky, Le Verbe incarné, Patrimoine, 1985
¹³ Ibid
## Frédéric Lenoir, Marie-France Etchegoin, Code Da Vinci: l'enquête, Robert Laffont, 2004
### Evangile selon Myriam, XVIII, 8-16
◊ Ibid, IX, 18
◊◊ Evangile selon Thomas, XXII
◊◊◊ Genèse, 1, 27
♦ La 1ère est représentée par l'Ancien Testament, la 2nde par le Nouveau Testament. Dans lequel il n'y a, soit dit en passant, pas la + petite trace de moralisme.
Timothy W.Jahn
proposé par mamadomi