Qui sont les parents violents?
Ceux qui pensent qu'il faut dresser les enfants.
C'est la position de nombreux parents! Moi, je m'oppose à de telles attitudes. D'abord, ces parents-là ont un seuil de tolérance très faible aux stimulations de toutes sortes: un enfant qui crie trop fort, qui n'obéit pas tout de suite, qui saute dans la maison, qui saute sur les lites, qui ouvre toutes les revues puis qui laisse tout par terre... La limite chez ces parents est vite atteinte. Mais ce n'est pas celle dont l'enfant a besoin, c'est la leur, càd qu'ils ne toléreront pas plus que ça. C'est la limite interne des parents. Il y a des parents qui acceptent que des enfants crient dans une maison en disant:
"Mais si, un enfant ça a besoin de crier et de sauter.
C'est formidable, laissons-le s'ébattre."
Et puis, il y a des parents qui ne supportent absolument aucun cri.
Certains acceptent qu'un enfant courre, d'autres acceptent qu'un enfant n'ait pas faim et ne veuille pas manger un soir; pour d'autres encore, c'est absolument impossible -les conduites des enfants réveillent des angoisses profondes chez eux. On ne peut pas faire de la psychothérapie avec tous les parents, mais on s'aperçoit à leur contact qu'ils sont en train de revivre quelque chose de leur propre histoire. Ce sont leurs propres limites émotionnelles qui les amènent à poser ces fameuses limites aux enfants.
Au bout d'un certain nombre de répétitions:
"Pour la 8ème fois, va te laver les dents",
le parent attrape son enfant, lui donne une fessée ou une claque. Mais il ne lui donne pas une limite structurante qui lui permette de s'organiser dans l'espace et le temps. Ils rentrent comme par effraction dans le champ corporel et psychique du petit. La violence introduite ainsi dans l'enfant va lui faire perdre complètement ses repères à lui, internes. En revanche, il va intérioriser les repères des parents. Il est vrai qu'après une fessée, une gifle ou des cris, l'enfant arrête de chahuter. Il finit son assiette, s'endort, et fait tout ce que le parent désire. Mais il ne sort pas de cette épreuve + aimé, + grandi, + autonome, + libre, + conscient, + humain, au contraire. Il a subi une violence qui l'a complètement secoué. Il est en état de stress, avec une élévation d'hormones de stress. Et l'on sait maintenant que les élévations d'hormones de stress trop fréquentes provoquent des dépressions. Il a libéré des morphines naturelles, les endorphines, qui viennent au secours de notre organisme, chaque fois que l'on a mal. Elles viennent atténuer la douleur. Mais l'enfant qui les sécrète de façon répétitive finit par être "drogué": il parvient à s'insensibiliser complètement. Les enfants battus disent souvent:
"De toute façon, je ne sens plus rien",
et c'est vrai. Ils sont en quelque sorte anesthésiés. Càd qu'ils perdent leur capacité de sensibilité. Car le drame, c'est que l'anesthésie n'est pas seulement corporelle, elle est aussi psychologique: l'enfant perd la faculté d'éprouver des sentiments et d'être empathique (capacité à percevoir les émotions des autres). L'enfant battu ou "hurlé" (chez l'enfant, le cri ou la violence verbale ont un impact physique au même titre que le coup) a perdu confiance en autrui: il ne s'est pas senti aimé et la peur s'est installée au fond de lui. Pourtant, le + souvent, il recommence, refait un peu + tard la même bêtise. Il piétine en quelque sorte, il n'a pas trouvé l'accompagnement sécurisant dont il avait besoin. Les coups et les cris tétanisent l'enfant, le terrorisent, le dévalorisent. Ce ne sont des actes ni d'autorité ni d'amour. Faire croire à un enfant qu'on le bat parce qu'on l'aime, c'est un mensonge. Or, le mensonge est peut-être pire que la violence. Donner un coup, une claquer ou une fessée à un enfant parce qu'il déborde et qu'à un moment donné on n'est pas des parents impeccables, qu'on ne peut pas être sans arrêt dans l'acte d'amour et de respect, n'est pas grave, si on est capable de lui dire après:
"Ecoute, je crois que j'ai dépassé mes limites, excuse-moi,
je vais faire attention la prochaine fois."
L'enfant peut tout à fait pardonner à son parent. En outre, cet aveu va lui permettre de se rendre compte que l'adulte n'est pas tout-puissant, qu'il na pas un pouvoir excessif sur lui. Il y a peut-être un moyen de discuter, en tout cas on peut être pris comme un alter ego.
En revanche, le mensonge, c'est de faire croire que la violence est donnée parce qu'on aime l'enfant. Et c'est pour ça que le mensonge est pire que la violence.
Ainsi, l'enfant battu et violenté va vouloir se décharger de toute cette violence-là. On ne peut pas garder ça au fond de soi. Alors il va être aidé par son organisme, car nous avons en nous des systèmes d'auto-régulation. Par ex, il va beaucoup bouger, dépenser sans cesse de l'énergie. Parfois il tapera sur les copains, sur + petit que lui en général. Et puis, il va titiller, car c'est un enfant qui cherche sans arrêt. Dans certains cas il peut retourner la violence contre lui en se tapant la tête contre les murs, en s'arrachant les cheveux, en se rongeant les ongles, ou tout simplement en tournant la tête dans le lit, ou tout autre symptôme d'autoflagellation.
Alors, que faire?
C'est la question que les parents posent. "Il ne comprend que ça." Il est gentil comme tout après, il vient leur faire un bisou. Preuve que c'est efficace... Et c'est vrai que ça l'est! Mais l'efficacité provient d'ailleurs. Ce qui rend la méthode efficace, c'est une situation très pernicieuse, celle d'un manque d'amour... Pendant que l'enfant reçoit l'acte de violence, il a perdu l'amour de son parent, parce que quand on bat un enfant, à ce moment précis, on ne l'aime pas. Cela ne veut pas dire qu'on ne l'aime pas avant et après, mais, à cet instant précis, le petit sent très bien ce défaut de tendresse. Alors, quand la tempête est passée, l'enfant éprouve le besoin, urgent et vital, de retrouver l'amour de son parent, parce que sans l'amour parental l'enfant ne peut pas vivre. Il est indispensable pour lui de retrouver au + vite une relation affective avec l'adulte qui est censé le protéger, prendre soin de lui. C'est pourquoi il vient chercher un câlin, demander pardon. Il est prêt à tout. C'est ce qui ravit son parent, qui se glorifie d'avoir aidé son enfant à se responsabiliser et à grandir, alors qu'il n'a fait que mettre en péril l'équilibre affectif de l'enfant.
Tel est le problème des limites dans l'éducation. Et beaucoup de parents sont complètement perdus dans ces piège. Car il y a un passage très délicat entre éducation et abus de pouvoir. On peut glisser de l'une à l'autre très facilement et sans s'en rendre compte.
Il faut aussi parler de cette souffrance parentale, inconnue, qui est à l'intérieur des parents, et dont ils ne se rendent pas forcément compte. Il y a 2 grands cas de figure, même si évidemment, entre les 2, les situations sont multiples.
• Soit les parents sont complètement anesthésiés: ils ont intégré l'éducation dure de leurs propres parents et ils estiment qu'il faut dresser un enfant de la sorte. Ces parents-là répètent, d'une façon inconsciente, leur propre éducation.
• Soit les parents ont été élevés tellement sévèrement qu'ils refusent de répéter ce qu'ils ont vécu. dans ce cas, le parent n'ose plus mettre aucune limite parce que ce qu'on lui a enseigné était tellement violent et persécuteur qu'il a décidé que jamais, lui, il ne ferait vivre ça à son enfant. Mais le problème persiste: comme il n'a lui-même plus de repères internes, ayant été violenté et ayant ingurgité les limites de ses propres parents, il ne peut plus se diriger lui-même. Ce sont des parents perdus, ils ne savent pas comment
faire, donc, pour ne pas faire de bêtises, ils laissent faire l'enfant. Et on trouve en effet des enfants qui n'ont plus aucun repère, qui sont terriblement angoissés et se cognent en permanence à la réalité. Ils sont dans le fond survictimisés, parce qu'un enfant qui n'a pas de protection interne, donc de capacité autonome à s'orienter, est un enfant sujet aux conduites violentes, dangereuses, et il va susciter en retour de l'agressivité de la part de la société.
Suzanne Robert-Ouvray
Dr en psychologie, kinésithérapeute et psychomotricienne
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