L'homme au centre
"Lui [l'homme] et la nature ne font qu'un. Si la nature est blessée, c'est l'homme qui souffre. Si elle est détruite, c'est l'homme qui meurt. En revanche, quand, par une action individuelle ou collective, nous rendons à la nature ses droits, c'est à nous-mêmes que nous rendons la liberté la + fondamentale: celle d'exister." Luc Hoffman, pdt du WWF France |
Conférence d'un psychanalyste, docteur en philosophie, dans un amphithéâtre de l'université: le conférencier traite, avec brio, des Dix Commandements. Il se base sur le texte hébreu pour en proposer une traduction originale, assez éloignée de la traduction classique. Il montre que les "dix paroles" sont une invitation à "se souvenir qu'il y a de l'Être", et constituent davantage une éthique qu'une morale.
Au cours de la conférence, il aborde la notion de profane et de sacré, et afirme qu'il est nécessaire d'apprendre aux enfants à faire la distinction entre les 2. Qu'entend-il par là? Que l'homme est sacré, parce qu'il a accès au symbolique, parce qu'il parle, alors que les animaux, la nature et le biologique en général ne peuvent être tenus pour sacrés.
Cette dissociation entre profane et sacré est à l'origine des catastrophes écologiques en tout genre dont souffre la planète: puisque la nature n'est pas sacrée, chacun peut la piller sans scrupule.
- Certes. Mais la sacralisation du biologique débouche sur des modèles sociaux s'inspirant de la sélection naturelle, et engendre le nazisme.
Il dit qu'un homme a + de valeur qu'un arbre, par ex, les allumettes pour faire du feu, afin de réchauffer un homme qui à froid. Il ajoute que s'il devait abattre un million d'arbres pour sauver un être humain, il le ferait sans hésiter.
Consterné par sa réponse...: Comment peut-il envisager que l'abattage d'un million d'arbres puisse sauver un être humain?
Et comment est-il possible de dénoncer le système pyramidal du nazisme, instituant l'exploitation voire l'extermination de races dites "inférieures" au profit d'une race dite "supérieure", et de faire l'apologie d'une culture anthropocentrique, càd d'un système pyramidal dans lequel une espèce dite "sacrée" peut légitimement exploiter, voire exterminer les autres espèces, dites "profanes". C'est exactement la même logique!
A la fin de la conférence, je me dirige vers l'orateur, pour vérifier si j'ai bien compris son propos. Je fais référence à l'interdépendance du vivant, au fait que nos poumons ont besoin des arbres pour avoir de l'oxygène à respirer, etc...
Savez-vous ce qu'il me répond? Que lorsqu'il n'y aura plus d'oxygène dans l'atmosphère, nous inventerons la machine à oxygène!
Il ajoute que le désert est le véritable lieu de l'homme, et qu'il préfère des hommes qui se respectent dans le désert, plutôt que des sauvages qui s'entretuent sous les bananiers. (Je ne vois pas en quoi le désert peut favoriser l'émergence du respect de l'autre; en général la pénurie a plutôt tendance à accentuer les rivalités...) Puis il me compare à Brigitte Bardot et me dit:
"Des arbres, oui, mais pour l'homme, pas pour les écureuils"...
Toute la Terre est pour l'homme et pour lui seul; voici le principe anthropocentrique: l'homme au centre.
Théodore Monod le dénonce avec vigueur:
"Les 3 grands monothéismes s'élaborent à partir d'une vision anthropocentrique du monde. L'homme est roi de la Création. Il jouit sur elle d'un véritable droit régalien sans aucune limite. Tout ce qui tendra à diminuer le gouffre que les théologiens juifs, chrétiens ou arabes ont voulu crééer entre l'homme et l'animal sera systématiquement condamné. Vous entendrez par ex des hommes d'Eglise dire de bonne foi que le fait d'assister à une corrida rend meilleur, que c'est un élément de progrès spirituel pour le spectateur. Ces gens déshonorent leur Eglise!"
Dans La Bible de Jérusalem, la logique anthropocentrique est très claire; elle explicite dès la Genèse. La 1ère chose que dit Dieu à l'homme et à la femme, qu'Il vient de créer et de bénir, est en effet:
"Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la. Dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre" (1,28).
Je suis sorti de la conférence à la fois indigné et inquiet quant aux valeurs de mes contemporains. Ainsi, même lui, un psychanalyste que j'estime, un homme érudit, même lui continue à véhiculer sans s'en apercevoir une idéologie dissociante datant du néolithique!
Car son commentaire des Dix Commandements, en dépit du caractère universel et atemporel qu'il leur attribue, me semble bel et bien imprégné de la manière dont les hommes concevaient le monde, à l'époque.
Reprenons l'ex de l'arbre, qu'il se dit prêt à réduire en allumettes et à brûler pour réchauffer l'homme qui a froid. Cet ex me semble tout d'abord peu réaliste: le temps qu'il réduise l'arbre en allumettes, l'homme a mille fois la possibilité de mourir de froid. J'en déduis que sa portée est métaphorique. Dans ce cas, le fait de brûler l'arbre pour réchauffer l'homme n'est efficace que dans un cadre illimité. Si je perçois les cieux comme infinis, ce qui était certainement le cas des hommes du néolithique auxquels nous devons la Bible, il est tout à fait sensé de réchauffer l'homme en faisant un feu. Mais si je conçois l'atmosphère comme une fine couche gazeuse autour de la Terre, telle que les photos prises par les sondes spatiales nous l'ont révélée, alors il faut ajouter un cadre fini à notre ex, et imaginer que l'arbre et l'homme qui a froid se trouvent dans une pièce, sans porte ni fenêtre. Que se passe-t-il alors si je brûle l'arbre? L'homme a chaud mais finit par se retrouver dans une chambre à gaz; il meurt asphyxié.
Vous pensez peut-être que je vais un peu loin, et pourtant, cela se passe déjà: des milliers de personnes sont mortes, en France, du fait de la chaleur et de la pollution de l'air, pendant l'été 2003 [hello tout le monde, buvez, faites des courants d'air et donnez de vous nouvelles...c'est reparti cette année!]. L'air pollué de la ville de Santiago, au Chili, tue chaque année des centaines d'enfants asthmatiques. Pour eux, l'invention de la machine à oxygène arrivera trop tard.
En fin de compte, couper et brûler des forêts c'est, d'une manière indirecte, tuer des hommes et des animaux.
Ainsi, à la lumière des connaissances scientifiques actuelles, il semblerait + sage de réchauffer l'homme en le prenant dans ses bras, et de laisser vivre les arbres, qui produisent l'oxygène et la nourriture dont les hommes et leurs frères animaux ont besoin pour survivre.
Car enfin, l'homme, anthrôpos, appartient au règne du vivant, bios: il est absurde de les dissocier et de les opposer!
Mettre l'homme au centre, au détriment de la vie, c'est comme, à l'échelle d'un individu, valoriser le cerveau d'une part, parce qu'il a accès au symbolique, et, d'autre part, mortifier le corps biologique, en niant les besoins de l'estomac ou en enfumant les poumons: cela conduit à l'anorexie ou au cancer.
A-t-on déjà vu un cerveau vivre sans poumons?
Bruno Ribant
proposé par mamadomi
rééd°du 19 08 12