...que l'on va donner à un enfant
Qu'est-ce qu'une limite? Est-ce que ça existe? Comment rester en bonne relation avec un enfant tout en lui faisant accepter les frustrations nécessaires? Comment structurer un enfant quand on a soi-même été structuré par des parents qui fonctionnaient au gré de leur humeur et de leur volonté? On ne peut pas répondre à tout, mais on peut proposer des éléments.
1. La confiance
Il faut avant tout faire confiance à l'enfant dans ses capacités d'auto-organisation et d'humanisation. Je pense qu'un enfant se construit beaucoup sur le modèle affectif parental: la façon qu'on a de se conduire avec les êtres humains autour de nous, la façon qu'on a d'accueillir les gens chez soi, de dire bonjour quand on rencontre quelqu'un. Certaines personnes en souffrent. Par ex, on m'a raconté que la maman et le papa recevaient monsieur Untel très gentiment, mais dès qu'il était parti, ils se répandaient en critiques et en invectives sur cet homme-là. C'est très désorientant pour un enfant parce que, dans un même temps, on lui montre comment on accueille quelqu'un chez soi, comment on entre en relation de manière amicale, et puis 2 mn après le parent démolit les repères socio-affectifs de l'enfant pour lui montrer tout autre chose.
Comment immiscer un repère chez l'enfant? Cela dépend aussi bien de la façon dont le parent gère ses relations à la fois avec lui, l'enfant, mais aussi avec les grandes personnes et même les autres enfants.
Lorsque les besoins de reconnaissance, de respect et de tendresse de l'enfant ont été suffisamment satisfaits, alors l'enfant se développe dans la spontanéité, dans la joie de vivre, dans l'affection et dans le désir de rencontrer les autres. Il ne sera ni violent ni destructeur. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'aura pas une certaine forme d'agressivité qui va lui permettre de s'affirmer et de s'opposer si on lui vole son Carambar. Mais il n'ira pas faire mal à l'autre. Car il y a une distinction entre faire mal et faire du mal. Par ex, si je refuse de prêter ma bouteille d'eau parce que j'ai mes raisons, je peux faire mal à l'autre, mais je ne cherche pas à lui faire du mal. Je ne fais pas cela contre lui. Ces enfants-là, qui ont été respectés, aimés, ne sont pas en principe des enfants violents, même s'ils peuvent être agressifs et très déterminés. Disons qu'ils sont tout simplement égoïstes parce qu'ils ont une façon de poser leur moi en s'opposant. Et cela peut être une qualité: on n'est pas dans la morale, quand on est dans la psychologie! Il ne sera ni violent, ni destructeur, ni apeuré, parce qu'il va s'appuyer sur le 1er modèle familial qui est le 1er modèle relationnel qu'il découvre. Il sera ouvert et curieux. Il s'agit donc de faire confiance au potentiel de l'enfant, à son potentiel d'être humain, à sa capacité à s'humaniser au contact des autres.
2. Prendre en compte sa propre frustration
En 2ème lieu, on va s'attacher à comprendre, dans sa relation avec l'enfant, ce qu'on est en train de vivre. En fait, beaucoup de parents vivent par procuration. Ils ont été lourdement frustrés dans leurs besoins de base et ils vont demander à leur enfant de leur donner ce qu'ils n'ont pas eu. Ce qui fait que l'enfant devient un objet narcissique, un objet de compensation pour le parent. Ils n'ont pas fait de piano, alors l'enfant fera du piano. Certains se transforment en tyrans de la scolarité. Eux-mêmes dévalorisés pendant leur scolarité, ils vont demander à l'enfant d'être brillant. Les besoins de l'enfant passent après les leurs, parce qu'ils sont eux-mêmes en manque infantile. Trop souffrants, trop inconscients, ils ne sont pas capables, bien souvent, de donner à l'enfant ce dont il a besoin pour l'accompagner dans son autonomisation. En +, ce sont des parents qui ont parfois le sentiment de s'être sacrifiés et qui maintiennent un système de dépendance lié à une dette terrible. D'ailleurs, ils disent:
"Avec tout ce qu'on a fait pour toi, c'est comme ça que tu nous remercies!"
Au contraire, il y a des parents qui ont vécu la frustration avec tant de souffrance qu'ils ne peuvent pas concevoir de frustrer l'enfant. Ils vont alors arriver à un phénomène qu'on appelle la saturation du besoin. Ils vont saturer le besoin de l'enfant. Entre frustrer et saturer, la position intermédiaire est difficile à trouver mais l'un et l'autre sont une violence faite à l'enfant.
3. Savoir gérer des besoins antagonistes
Nous, être humains, sommes faits de telle sorte que nous avons des besoins antagonistes, à l'intérieur même de l'être humain, et d'autres existant entre 2 personnes; Par ex on a besoin de solitude, mais en même temps on a besoin d'être entouré de ses congénères. L'enfant a besoin de liberté, mais en même temps il a besoin d'être protégé. Il a besoin d'être touché, mais il a besoin d'être respecté. Il a besoin d'être affilié, d'appartenir à un groupe, mais en même temps il a besoin d'être reconnu comme quelqu'un de différent, de singulier. Donc si on sature le besoin de liberté de l'enfant, on va frustrer le besoin antagoniste de structure. Il s'agit d'arriver, comme on dit, à un juste milieu.
Et puis il y a aussi les besoins antagonistes entre enfants et parents. Le père ou la mère rentre du travail, il est fatigué, il a besoin de se reposer alors que l'enfant, lui, n'a besoin que d'une seule chose, c'est de sauter sur le dos de on père ou de sa mère. Alors, que se passe-t-il? C'est là que la tendresse intervient. Parce qu'il n'y a acune raison que le parent ne soit pas satisfait dans ses besoins de base, mais en même temps il n'y a aucune raison que l'enfant soit frustré dans son besoin. Qui doit passer en premier? Si l'on est tendre avec l'enfant, si on lui fait un câlin et qu'on lui dit:
"Ecoute, je ne peux pas m'occuper de toi pour le moment, j'ai vraiment besoin de 10mn de repos",
moi, je pense que si la relation est suffisamment respectueuse de part et d'autre, l'enfant est tout à fait capable de comprendre cette réaction.
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Mais ce mode de relation se met en place dès le début de la vie. Si d'emblée la relation est suffisamment respectueuse, l'enfant est tout à fait capable de vivre une frustration momentanée, car il a confiance. Et cette frustration s'intègre alors et permet à l'enfant de devenir autonome et de "symboliser". Symboliser, c'est substituer: tout en refusant l'achat d'un jouet, on peut proposer à l'enfant de casser sa tirelire. On rentre dans la négociation, mais on reste dans le respect.
4. La tendresse pour intégrer la dureté de la vie
Un autre acte de tendresse réside dans la façon d'aider un enfant à intégrer la dureté de la vie. Car il faut l'avouer, on en est tous là: on ne veut pas que nos enfants souffrent. Mais on s'y prend souvent très mal, à force de vouloir que la vie soit belle. Un enfant tombe par terre. La pire des réactions est de dire "C'est rien." En général, on lui dit d'arrêter de pleurer et de dire ce qu'il a. Mais en parlant, on le met à distance. En revanche, si on prend l'enfant dans les bras, si on le console, et si on lui dit ensuite:
"Explique-moi ce qui t'est arrivé",
une part de la violence qu'il vient de vivre en tombant va devenir une expérience positive, et il va remonter sur son vélo. C'est ainsi que la tendresse peut accompagner l'enfant dans l'intégration des difficultés de la vie. Parmi les 5 sens dont nous disposons, certains mettent à distance et d'autres rapprochent.
La vue, la parole, le toucher auditif mettent à distance.
Alors que le tact, l'odorat et le goût rapprochent la personne.
C'est pourquoi il ne faut pas parler et expliquer avant de consoler! Cela suppose aussi pour faire passer ce message-là à l'enfant qu'il ait accepté la vie affective de son parent. Il ne faut pas, enfin, qu'un parent se dévoue entièrement à son enfant, car c'est un parent qui empêche l'enfant d'être libre. Le + beau cadeau que l'on puisse faire à un enfant, je crois, c'est que ses parents soient heureux. Et les enfants ne peuvent considérer leurs parents comme heureux s'ils sont uniquement dans le dévouement et le sacrifice. Ils doivent aussi avoir une vie affective et respecter leurs propres besoins. Tout cela suppose par ailleurs que l'enfant accepte l'autorité de son parent.
5. Autorité et violence: apprendre à l'enfant à dire non
L'autorité, ce n'est pas de la violence. En effet, l'autorité s'oppose à la contrainte par la force et au chantage. D'autre part, elle aide l'enfant à découvrir sa propre autorité. Autorité a pour racine étymologique auctor, "auteur". Elle permet ainsi à l'enfant d'être auteur des lois. Elle ne vise pas à contrôler. Même si elle requiert l'obéissance, elle ne vise pas non plus la soumission. Les parents ont certes un pouvoir réel sur leur enfant, dont ils doivent être conscients, mais l'abus de pouvoir est destructeur. Et quand nous disons "non" à un enfant, il faut le faire en notre nom. Nous devons dire:
"Non, j'ai besoin d'un ¼ d'heure pour me reposer. Non, là, je ne reviens plus te voir, j'ai lu ton histoire, je n'ai pas l'intention de faire ceci ou cela."
Mais on dit trop souvent:
"Non, tu es vilain, tu en veux trop"
et on attaque ainsi l'enfant. Ce n'est pas respectueux de l'enfant. Le "non" doit venir soutenir et respecter un enfant. Car le "non" fait partie de la vie comme le "oui". On apprend alors à l'enfant à respecter le "non", càd les limites et les impossibles de sa vie. S'il est vécu de la sorte dans la dynamique familiale, alors l'enfant pourra dire "non", à son tour, face aux agresseurs et aux abuseurs. Si on n'a pas habitué le petit enfant, au début de la vie, à dire "non" et à être respecté dans son opposition, il ne pourra jamais dire "non" au monsieur dans la rue qui lui propose un bonbon, même si on l'a mis en garde.
D'autre part, en apprenant à dire "non", de façon personnelle et réfléchie, on intériorise la loi. C'est l'accompagnement dans la frustration qui permet à l'enfant de devenir un être social et d'intérioriser la loi. On parle beaucoup de la citoyenneté dans les collèges et on fait de grandes réunions à ce sujet. Mais être citoyen ne signifie pas seulement adhérer à une cause commune. C'est aussi savoir s'opposer, critiquer. Pour cela, il faut que l'enfant ait intégré les repères qui deviendront ses propres repères et qui vont lui permettre de reconnaître où se trouve l'injustice ou l'inacceptable. Mais si toute l'éducation de l'enfant est fondée sur le principe
"Tu dois faire comme je te dis parce que c'est moi qui ai raison",
à ce moment-là l'enfant n'a pas tout à fait sa capacité de réflexion. La 1ère fonction de l'interdit n'est pas d'entraver la volonté de l'enfant. C'est de lui permettre de différencier, de poser des points de repère, de délimiter le bien et le mal, de donner une forme et de donner un sens à ce qui nous entoure, un sens à la réalité.
Suzanne Robert-Ouvray
Dr en psychologie, kinésithérapeute et psychomotricienne
avec les illustrations d'Alex Alemany
proposé par mamadomi