...du racisme
En dépit de la Shoah (1933-1945), le racisme du siècle est allé s'amplifiant. De plus en plus soudain dans ses irruptions, le racisme n'a plus aucun besoin de techniques sophistiquées pour détruire les hommes non conformes: aux massacres industriels des nazis ont succédé des tueries au coupe-coupe. Pour tuer l'autre parce qu'il n'est pas comme moi, l'arme blanche suffit. "On" a égorgé au Rwanda et au Kosovo; on y a éventré des femmes enceintes, au couteau. Phénomène massif, le racisme se déguise aujourd'hui sous des termes polis: on ne dit plus "race" -cela ne se fait plus, on dit "ethnie". Différence nulle. Il n'y a pas plus d'"ethnie" que de "race": sur ce point, les incessantes démonstrations des anthropologues n'ont pas porté leurs fruits, piétinées par certains nationalistes et militants anti-metissage de tout poil qui essaient de détourner les avancées du codage génétique et les catégorisations qu'il implique au profit de la thèse de la détermination raciale...(sans parler des impudents frondeurs inconséquents de "l'espèce" Eric Zemmour). Combien de fois nous aura-t-on répété qu'il n'existe pas de groupes "purs"? Que les systèmes de parenté, à d'infimes exceptions près, exigent les métissages? Que ni la langue ni la religion ni la génétique ne peuvent justifier une quelconque différence entre les êtres humains? Peine perdue.
C'est pourtant simple:
"purifier", ou "nettoyer" sont les agents verbaux du racisme, qui aura massacré en 100 ans au moins 10 populations.
A partir de 1913: le peuple arménien de Turquie. 1933-1945: le peuple juif d'Europe (et aussi tzigane d'ailleurs pour près de 350 000 âmes, ce n'est pas anecdotique).
1948: le peuple palestinien.
1967: Biafra et Soudan.
1975: le peuple du Cambodge.
1988: le peuple kurde d'Irak.
1991-1995: les peuples croate, bosniaque et serbe de Yougoslavie.
1994: le peuple Tutsi du Rwanda.
1999: le peuple albanais du Kosovo et le peuple du Timor Oriental (Est).
Or le compte est incomplet, parce qu'il tient pour quantités négligeables, les émeutes antichinoises en Indonésie, antimusulmanes en Inde, antitziganes dans toute l'Europe de l'Est, et, ne les oublions pas, les pogroms antisémites dans toute la Russie avant 1917. Quantités négligeables, les tribus du Brésil décimées pendant tout le XXè siècle, à coups de draps varioliques semés sur les pistes de chasse, de mitraillages à partir de petits avions, ou simplement de mitraillettes au sol -crimes commis, au choix, par les orpailleurs, les constructeurs de la Transamazonienne, leur tamis à la main, ou les "seringueiros" à l'ère du caoutchouc.
Quantités négligeables: force est de constater que seuls les massacres de masse parviennent dans nos têtes, et que le nombre de cadavres prévaut sur l'acte même.
A ces massacres s'ajoute sa conséquence: le plus grand flux de réfugiés de l'histoire de l'humanité.
En 1998, il atteignait, selon le Haut Commissariat aux réfugiés, 22 millions 349 000 personnes. On pourrait penser que les réfugiés ne datent pas d'hier, et que chaque guerre de l'Histoire en a entraîné tout autant. On aurait tort: même en légère régression à l'entrée du troisième millénaire, la démographie du monde a galopé le long du siècle, exponentiellement. D'où l'ampleur des mouvements de populations, enfuis, chassés, traqués ou sinistrés.
En Afrique, on les appelle les "déguerpis".
Catastrophe pour eux, histoire froide pour les autres, le système des camps de réfugiés dissémine ses tentes de plastique, ses bâches de toile, ses villages de tôle appelés bidonvilles. Privés de maisons, de champs, parfois de leurs papiers d'identité, les déguerpis n'ont plus de "niche écologique", comme dit justement le psychanalyste indien Sudhir Kahar. Au mieux, le déguerpi hindou garde dans sa baraque le poster d'un dieu, un autel de fortune; le musulman accroche l'image de son marabout; le Palestinien, celui d'Arafat; le Kurde, celui d'Öcalan, bref, chacun son idole, faute d'autres repères. Car dans ce peuple épars de 22 millions d'hommes, se lèvent des rebelles, à bon droit. Sitôt levés, des religions s'en emparent: les musulmans en Egypte, en Algérie, les hindous à Bombay. Irréprochable, leur premier but est caritatif. Inévitablement, leur résultat est fondamentaliste. Les révoltés s'organisent en combattants d'un dieu. S'ensuivent d'autres émeutes et d'autres déguerpis...Car l'Histoire lentement rythmée a pour règle le cycle, les mêmes causes entraînant -pour un temps- les mêmes résultats.
Moins désordre, plus costaud en matière de racisme, ce siècle aura vu un pays, l'Afrique du Sud, voter des lois séparant des "ethnies" n'ayant pas, selon lui, vocation à vivre ensemble: radicalement raciste, fort bien organisé, l'apartheid, système légal voté en 1948 par une démocratie, a interdit aux Noirs et aux Blancs toute vie commune de 1959 à 1994, date de la levée des sanctions de l'ONU. Longtemps, l'apartheid a fait partie du paysage mondial. Quand nous aura-t-il transformé l'esprit? En France, dans les années 70, Sartre donna l'alarme dans "les Temps Modernes"; 10 ans + tard, un boycott se mit enfin en place. Mais l'événement marquant fut, en 1990, la libération de Nelson Mandela, qui fit surgir l'apartheid dans sa véritable ampleur alors qu'il s'achevait: après coup.