Déjà pour les Celtes, dès -1000, le mois de novembre est associé à la notion de la mort.
C'est; comme on l'a vu hier, le mois de Samhain, le Mid Samm, marquant le début de la moitié sombre de l'année. Le 1er du mois est à la fois la fête des morts et nouvel an. Les tribus se rassemblent (Samhain veut dire "réunion") pour honorer les morts avant les inquiétudes et les rigueurs de l´hiver, mais aussi pour invoquer par des rites le futur renouveau de la nature. Dans le panthéon des dieux celtes, ◄Dispater, le "bon" dieu compétent en tout, s'unit à ▼Morrigan, la déesse-terre-mère, pour assurer la fécondité ultérieure. Dans cet intervalle incertain entre 2 cycles, rodent les âmes des morts, les esprits reviennent d'outre-tombe pour errer sur la terre des vivants. Seuls les druides-astronomes en contact avec le monde surnaturel, mais connaissant les rythmes du ciel, peuvent éviter le chaos par des rites et des sacrifices. Bien plus tard, Galilée démontrera leur inutilité, la Terre tournant irrémédiablement autour du Soleil. Et il aura quelques ennuis avec leurs successeurs. Novembre c'est aussi l'entrée en hibernation de l'ours dont la mort apparente en fera, pour les Celtes, le "maître du temps". Pour eux, son culte assurait aux âmes un bon voyage au-delà. De tout cela il restera de nombreuses traces, et d'abord le fait que le 2 novembre est toujours le "jour des morts"; mais aussi le Halloween anglo-saxon (une coutume qui commence à se répandre chez nous), cette "nuit des âmes" du 31 octobre où une procession de crânes -lanternes, potirons creusés en lumignons, etc... y rappelle les âmes celtes. Mais encore il en reste la bonne fée Morgane des contes et légendes ; et encore le culte de St Martin.
St Martin (Martin l'ours des contes !) est fêté le 11 novembre, et si sa personnalité historique est aléatoire, sa légende garde maintes traces du culte de l'ours. Jusqu'au fameux geste charitable de partager son manteau avec un pauvre frigorifié, qui est la forme chrétienne symbolisant le partage en deux de l'année celte à l'entrée de l'hiver. Mais comment ce jour des morts, d´origine éminemment païenne depuis 3000 ans, en viendra-t-il à côtoyer le jour des saints et martyrs de la tradition chrétienne qui cherche à le récupérer depuis 1000 ans.
Dès -l00, à Rome, le culte le plus populaire est celui d'Isis. Du 29 octobre au 1er novembre, se déroule l' "Inventio" d'Osiris, jours de jeûne et de lamentations où ►Isis cherche le corps démembré de son époux Osiris. De nombreux rites funéraires finissent dans la joie quand le corps du dieu est retrouvé et ressuscité. C´est la forme romanisée des multiples cultes solaires d´origine orientale. Au fil du temps, l'assimilation se fera entre les fêtes du soleil-dieu et celles des empereurs voulant être le dieu de la cité. Le 1er novembre deviendra la fête du César en place et fête de la ville de Rome. Plus tard, au 7ème siècle, apparaîtra dans le calendrier, un St Césaire, sans aucune trace historique, patron de la ville de Rome, mais dont la légende garde la notion d'un meurtre rituel. Il aura son oratoire au Palatin, dans le palais des empereurs, sera fêté le 1er novembre et aura une 2ème fête dans l'année, le 21 avril, dont la tradition fait l'anniversaire légendaire de la fondation de Rome par Romulus. Le 1er novembre restera la St Césarien à Rome jusqu'au XVIème siècle malgré l'institution papale de la Toussaint survenue entre-temps.
Mais d'où vient la Toussaint chrétienne?
Dès les premiers siècles, l'Eglise chrétienne entretiendra le culte des martyrs dont l'exemple très vite amélioré par la légende servira son prosélytisme. Toute communauté humaine, secte, religion, parti, tribu ou nation l´a fait. Et la rumeur est de tous temps. Parmi les diverses fêtes des diverses Eglises d'Orient et d'Occident. ce sera le 13 mai de l'Eglise d'Edesse qui se généralisera en Orient comme fête de tous les martyrs. Mais, le 23 novembre 602, Maurice 1er, empereur d'Orient fort impopulaire en Italie, est assassiné à Constantinople par Phocas qui lui succède. Phocas reste à Constantinople, capitale politique et commerciale de son empire ; mais il envoie ses images-icônes pour le représenter à Rome, capitale historique de l´empire ou seul le pouvoir du pape est en place. Le 25 avril 603, le clergé et le peuple de Rome accueillent dans la joie les images-icônes de leur nouvel empereur Phocas. Et le pape Grégoire le Grand les fait déposer dans l'oratoire de St Césaire au Palatin pour qu´on puisse prier pour l´empereur-dieu; la transmutation de César en St Césaire s´effectue. Peu après, en 608, pour le remercier de sa fidélité à l'empire byzantin en ces temps troublés (les Lombards en Italie, les Perses en Orient), Phocas fait don au récent pape Boniface IV d'un bien d'Empire qui garde une valeur symbolique païenne au milieu de la ville de Rome, le Panthéon. Ce temple, le plus grand de Rome, doté de la plus grande coupole de maçonnerie construite jusqu'à aujourd´hui, avait été construit par Hadrien, l'empereur-philosophe, qui le voulait ouvert à tous les dieux de l'Empire.
Il fut inauguré en 125. Et au 6ème siècle, dans Rome en voie de. christianisation, le Panthéon était encore le temple de Cybèle, la mère des dieux, dont le fils Attis avait un culte qui. préfigurera le culte de Jésus. Bien vite vidé de ses idoles, le Panthéon est transformé en église. Cependant, la fête orientale chrétienne du 13 mai attribuée à tous les martyrs, se diffusait à Rome par les nombreux missionnaires-émissaires de l'empereur de Constantinople comme par les commerçants vendeurs de reliques. Aussi, en 610, le 3 des ides de mai (soit le 13 mai) fut l'occasion de dédier l'ex-panthéon à tous les martyrs et à Marie, mère de dieu. Le passage des multiples dieux païens, de ►Cybèle et d'Attis, s'organisait vers les multiples martyrs et saints, Marie et Jésus. Le 13 mai 610 donc, Boniface IV fit du panthéon l'église de Ste Marie-aux-martyrs
La fête chrétienne de Toussaint se préfigure, mais le 13 mai !
La Toussaint passe au 1er novembre.
En Gaule où restent bien peu de traces romaines après les grandes invasions, la nouvelle évangélisation se fera surtout, par les moines irlandais, l'Irlande ayant été d´abord le lieu de refuge du celtisme contre Rome, et restant ensuite le sanctuaire du premier christianisme lors des invasions barbares. L'amalgame réalisé par l'Eglise celto-irlandaise favorisera la "pénétration" des moines irlandais en Gaule. Leur succès fut en particulier dû au soutien de Charlemagne, empereur en 768. Chef barbare, voulant recréer un grand empire à l'image de la Rome antique prestigieuse, il se trouva fort soutenu par le pape d'autant qu'il protégeait Rome contre les Lombards. Et il favorisera ces moines irlandais qui unifient les traditions celtiques, germaniques, et romaines de son empire, et qui l´allient à Rome. Les moines irlandais, eux, se trouvèrent confrontés au paganisme celtico-romain de nos régions, et entre autres à la fête traditionnelle de Samhain qui persistait dans la culture populaire. En 775, Kathwulf, ecclésiastique anglo-saxon, écrivit à Charlemagne en lui demandant d'instaurer une fête de tous les saints.
Peu après, en 798, un concile à Riesbach crée une fête nouvelle, aux calendes de novembre, la Toussaint. L'idée vient d'Alcuin, abbé à Tours mais originaire d'Angleterre ; et Tours sera le seul endroit où la Toussaint sera fêtée à la fin du 9ème siècle. Diverses explications ultérieures tenteront de "romaniser" l'origine de la fête, de la faire venir de Rome si pas de Palestine ; mais les documents prouvent que ce sont les influences gallicanes du temps de Charlemagne qui feront adopter cette fête à Rome.
Rome ayant rompu ses origines orientales, le culte de César-St Césaire était devenu moins primordial, et il parut donc de bonne politique de plaire à Charlemagne en déplaçant la fête des martyrs du 13mai au 1er novembre. St Césaire n´y perdait rien, gardant sa fête le 21 avril. La diffusion de cette fête sera lente, au rythme de la lente progression de l´omniprésence cléricale. En 835, 1'occasion d'un voyage de Grégoire IV en France fera célébrer la Toussaint pour la première fois par les évêques en présence du roi Louis le Pieux. Pourtant, en 860-870, cette fête sera encore inconnue à Bourges et Orléans, cités importantes à l'époque.
C'est la fondation de l'abbaye de Cluny, en 910, qui va accélérer le mouvement. Toute la politique religieuse de Cluny, dont l'abbé est l'égal et même le directeur des papes, rois et empereurs, consistera à réanimer ou à créer un calendrier liturgique calqué sur celui des traditions locales imprégnées de celtisme. Vers l'an I000, Odilon, 3ème abbé de Cluny, se décide à généraliser et imposer à toute la chrétienté la commémoration des défunts au 2 novembre.
Mais il faudra attendre le XIIème siècle pour voir les cultes de St Blaise et St Martin recouvrir les derniers vestiges du culte de l'ours. Et encore, ce n´est qu´en 1314 que la Toussaint est adoptée à Angers, pourtant à peine distante de Tours d´une centaine de kilomètres!. Ce n'est enfin qu'en 1580 que le pape Sixte IV en fera une des grandes fêtes chrétiennes en lui attribuant une octave, soit une semaine de liturgie spéciale. La Toussaint, le 1er novembre, précédera dorénavant et dominera en renommée la tradition populaire du jour des morts. Mais ce ne fut pas, et ne sera jamais, pour les siècles des siècles.
Toussaint: qu´en pensent les laïques
Si la laïcité compte des martyrs au long de son histoire, elle n'en a fait ni des saints ni les bases d'un prosélytisme. Porteurs chacun, comme de nombreux obscurs, d'une idée neuve, d'une idée à défendre dans la liberté, les martyrs de la liberté de pensée depuis Galilée ou même depuis Prométhée, représentent chacun une étape de l'évolution des connaissances et de l'humanité. Pour les laïques, hommes et femmes bien vivants au XXème siècle, les valeurs, morales ou politiques, religieuses, philosophiques ou simplement humaines, sont proposées, défendues et transmises par des hommes et des femmes. Et c'est là un progrès de la pensée. Par un curieux retour aux sources de l'Histoire, c'est dans le Panthéon de Paris, inspiré directement du Panthéon d'Hadrien à Rome, qu'est enseveli un des derniers martyrs de la liberté reconnu dans nos régions. En effet, Jean Moulin, laïque et grand résistant français, victime de la Gestapo nazie, y repose à côté d'Emile Zola, de Jean Jaurès, de V.Schoecher (abolition de l'esclavage). Quant aux laïques d'aujourd'hui, ils laissent à ceux qui le souhaitent, de voir dans la mort un mystère. Mais, ils gardent souvent cette coutume celte du jour des morts, le 2 novembre, pour se recueillir devant une tombe ou pour penser dans la dispersion de 1'air, à ceux, proches ou moins proches qui, avant eux, ont porté le flambeau de la vie et de la pensée. Selon leur goût, ils achèteront ou non cette fleur automnale et rayonnante, le chrysanthème qui, de l'Europe au Japon, l'empire du soleil levant, est un symbole solaire de longévité et d'immortalité.
Et ils l'offriront à leur souvenir.
proposé par mamadomi