Guy Evrard intervient dans des débats organisés sur les changements pour inciter à sortir d’un cadre de réflexion qui empêche d’aller au fond des choses:
Quels changements ?
[**] "La question climatique est désormais bien inscrite parmi les préoccupations politiques. Pourtant, les réponses à ce défi oscillent entre des plans très différents, dont la cohérence et les interactions demeurent peu articulées : engagements de réduction des émissions demandés aux États dans le cadre des négociations internationales, politiques publiques à l’échelle nationale, investissements structurels (transports, urbanisme…), écologie industrielle pour les entreprises, “écogestes” quotidiens demandés aux consommateurs et aux ménages, etc. Le développement durable, devenu l’idéologie du XXIe siècle, est censé fournir spontanément la cohésion d’ensemble, sans que soient précisément réinterrogés les systèmes de valeurs, la primauté accordée à la croissance, le productivisme des sociétés, la confiance dans les progrès techniques ou encore l’importance de la consommation. Au-delà, les changements, qui selon les scientifiques sont nécessaires pour une durabilité du climat, apparaissent d’une ampleur telle que les chemins de transition sont encore largement à construire. En particulier, la question climatique repose[…] la question des modes de vie. Dans les conférences climatiques et la négociation internationale, la dimension environnementale du changement climatique est partiellement occultée par la prédominance des mesures de performances énergétiques, tandis que les questions d’équité sont posées exclusivement dans le cadre Nord-Sud et la question des modes de vie n’est que frileusement abordée. Par ailleurs, un certain nombre d’acteurs estiment que c’est le capitalisme, voire la modernité, qui sont en cause. On peut en outre se demander dans quelle mesure les obstacles aux politiques efficaces de lutte contre le risque climatique tiennent-ils au degré d’information des décideurs et des politiques, et/ou à la conscience de l’opinion publique ? Quelles sont les responsabilités respectives des scientifiques, des experts, des journalistes ? Notre atelier entend mettre en commun ces réflexions menées trop souvent séparément. Il interrogera les changements à l’œuvre dans différentes sphères, leurs relations, leur bilan et leurs perspectives […]". |
J’ai participé (Guy, pas moi hein!) en novembre à un atelier public organisé au CNRS, à Paris, par deux personnalités de l’enseignement et de la recherche, Amy Dahan, du Centre Alexandre Koyré [*], et Edwin Zaccaï, de l’Université libre de Bruxelles, sur le thème “Changements climatiques, changements de modes de vie ?” J’avais été attiré par la note de présentation[**]► qui me semblait traduire la capacité d’aborder concrètement et dans toute leur complexité les nombreuses facettes des causes et des conséquences de la crise écologique et peut-être même la philosophie de nos sociétés. Une approche qui n’est pas étrangère à l’analyse que la GR s’efforce d’éclairer.
[*] Centre de recherche sur l’histoire des sciences et des techniques. Hébergé dans l’enceinte du Muséum national d’histoire naturelle, il associe des chercheurs et enseignants de cet organisme, du CNRS et de l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales ainsi que la Cité des sciences et de l’industrie.
Nous n’entrerons pas ici dans le détail des exposés, au demeurant tous intéressants parce que les résultats de recherches scientifiques constituent toujours des données utiles à la réflexion.
- Comment expliquer ces évolutions?
La seconde session interrogeait:
- Comment les injonctions de changements en liaison avec les changements climatiques interfèrent-elles avec d’autres valeurs sociales et politiques fondamentales?
- Y a-t-il des synergies (le respect des contraintes écologiques favorise des valeurs de bien-être), des divergences (il suscite le renforcement d’inégalités sociales), incompatibilité (un gouvernement autoritaire est seul à même d’imposer de telles contraintes)?
Suscitant davantage la réflexion philosophique, l’absence de dernière minute de Patrick Viveret fut sans doute regrettable. J’ai clairement perçu dans l’analyse des intervenants la difficulté d’imaginer un équilibre possible entre l’exercice des libertés individuelles et la nécessité de défendre l’intérêt général via un État et des structures démocratiques.
Comme si l’expérience désastreuse
des pays communistes
renvoyait définitivement au totalitarisme
toute idée de privilégier l’intérêt général.
J’ai donc fustigé cette crainte du débat démocratique et tenté de solliciter l’engagement philosophique: "Dominique Bourg (autre philosophe, non présent dans l’atelier) nous dit que l’économie de marché vise à satisfaire des besoins relatifs, par nature infinis (au sens de Keynes), sans se préoccuper des besoins absolus des hommes. Les philosophes peuvent-ils nous aider dans ce nécessaire débat pour les distinguer?" La réponse m’a renvoyé à la primauté du choix individuel, c’est-à-dire, dans le contexte libéral que nous connaissons, à la liberté du renard dans le poulailler.
- Comment analyser ses modalités, ses effets?
sur les choix énergétiques et le refus de la taxe carbone
est donnée en exemple.
La dernière session fut plus illustrative, en proposant quelques éléments de réponse aux questions:
- En quoi des changements “organisés” se sont-ils produits dans différents secteurs primordiaux tels que les entreprises, les villes, la mobilité?
- Quels bilans peut-on faire par rapport aux enjeux des changements climatiques?
- Quelles perspectives, quels facteurs déterminants?
Elle aurait pu susciter également un débat intéressant sur l’avenir des politiques territoriales, notamment en relation avec les réformes en gestation en France.