"Il y a deux millions de bouddhistes en France"
... titraient les hebdomadaires il y a 10 ans déjà. "Cinq millions de Français se disent proches du bouddhisme", ajoutait-on là. Aujourd'hui, on parle de "6 millions de bouddhistes". Cette surenchère médiatique contraste avec la prudence des spécialistes: sociologue du bouddhisme, Frédéric Lenoir estimait alors de 100 000 à 150 000 le nombre de Français de naissance "proches" du bouddhisme alors qu'aujourd'hui on les évalue à 5 millions.
Le chiffre de 2 millions de protestants était naguère cité par les médias alors que les réformés français sont, au plus, 700 000. Faut-il appliquer le même coefficient réducteur aux disciples du Bouddha?
C'est probable mais il est difficile d'être précis. Car la grande majorité des bouddhistes résidant en France sont issus de l'immigration chinoise et indochinoise dont l'ampleur exacte est mal connue comme le montre l'exemple des clandestins chinois. De +, de nombreux Asiatiques (notamment des Vietnamiens) étaient déjà chrétiens dans leur pays d'origine et d'autres se sont convertis lors de leur arrivée en France. Comme convertis lors de leur arrivée en France. Comme pour mieux brouiller les pistes, certains ont choisi un prénom chrétien tout en restant bouddhistes. Et les mariages mixtes entre bouddhistes et catholiques modifient l'identité religieuse des immigrants.
On ne naît pas bouddhiste, on le devient par une "prise de refuge" dans le Bouddha, le Dharma (sa doctrine) et le Sangha (la communauté des fidèles). Or, nul ne sait exactement quel est le pourcentage d'immigrés de la 2ème génération ayant accompli ce geste: certains n'appartiennent à aucune religion tout en ayant des apprentis bouddhistes. L'âge de ceux-ci tend à augmenter, et le bouddhisme en France, comme le chrisitanisme, est une religion qui "vieillit".
C'est aussi une religion assez diverse, avec une majorité vietnamienne liée au Grand Véhicule et une minorité laotienne ou cambodgienne au Petit Véhicule. Les communautés asiatiques ont donc apporté en Europe -et aux Etats-Unis) leurs traditions et leurs divisions bouddhistes comme les communautés proche-orientales (arménienne, copte, maronite) leurs traditions et leurs divisions chrétiennes.
Quant aux Français de souche convertis au bouddhisme, ils étaient, il y a 10 ans, non pas 2 millions mais 100x moins: à peine 20 000 personnes, généralement d'âge moyen (on se convertit rarement avant 35ans) et de statut social plutôt élevé. Ils ont majoritairement adopté la forme du bouddhisme la plus minoritaire en Asie: le Vajrayâna ou Véhicule de Diamant, importé du Tibet. Il y a donc un énorme contraste entre les communautés asiatiques un peu vieillissantes et assez discrètes pratiquant la religion de leurs ancêtres et les Européens fraîchement convertis manifestant leur foi de manière plus ostensible: il y a 50 bouddhistes d'origine asiatique pour un Français de naissance mais c'est celui-ci qui intéressait et intéresse toujours les médias.
Et ils n'ont pas entièrement fort. Car si la conversion au bouddhisme demeure, en Europe comme aux Etats-Unis, un phénomène rare et récent, (◄ M. Ricard) elle témoigne d'un intérêt réel et massif pour les religions extrême-orientales: parmi les émissions religieuses télévisées du dimanche matin, Les Voix bouddhistes sont l'une des + suivies. Il n'est donc pas toujours facile de distinguer entre l'appartenance et la proximité: de nombreuses personnes "proches" du bouddhisme n'ont aucun désir de se "convertir" (la notion de conversion leur évoque une religion trop exclusive) tout en adhérant à certaines croyances comme la spirale des renaissances ou à certaines pratiques comme la méditation. L'irruption du bouddhisme dans le paysage des spiritualités occidentales est donc un phénomène majeur de notre histoire religieuse.
Mais où fixer les frontières du bouddhisme? Les moines chrétiens méditent durant des heures sans être, pour autant, des disciples du Bouddha, comme des moniales bénédictines font du yoga sans être hindoues. A la stricte observance du culte imposé, nos contemporains préfèrent souvent l'éclectisme d'une religion à la carte. Les statistiques de la foi avec leurs colonnes de croyants, d'autant que les spiritualités extrême-orientales sont particulièrement rebelles aux classifications.
Où peut-on situer le zen qui a séduit nombre d'Occidentaux? bien qu'issu du bouddhisme, il s'en distingue radicalement en donnant un rôle secondaire aux Ecritures bouddhiques. Où classer spirituellement le million de licenciés sportifs français qui pratiquent les arts martiaux? On peut aimer les films de kung-fu sans rien connaître du bouddhisme, même si cette discipline est inséparable du monastère chinois de Saolin qui l'a vue naître. Et Djamel Bouras, médaille d'or de judo aux Jeux Olympiques d'Atlanta, s'est toujours présenté comme un bon musulman alors que son sport a été créé, en 1882, à Tokyo, dans le temple bouddhique Eihô-ji.
Il est vrai qu'on peut être champion olympique sans rendre un culte à Zeus, ce qui eût été impossible dans les Jeux de l'Antiquité. Et l'on peut admirer la sérénité du bouddhisme sans rendre un culte au Bouddha, ce qu'il avait d'ailleurs interdit à ses disciples.
O. Vallet
proposé par mamadomi