Un homme avançait à grand-peine sur une longue route sans fin. Il était lourdement chargé de pierres et croulait sous leur poids. Transpirant et soufflant, il poursuivait cependant son chemin pas après pas, se lamentant sur son sort et se plaignant de la fatigue qui le paralysait. Le soleil était au plus haut lorsqu'il rencontra un fermier. Celui-ci lui demanda: "tu m'as l'air bien fatigué. Pourquoi transportes-tu donc ce lourd fardeau?"
"C'est trop bête, je ne les avais pas remarquées!" répondit le promeneur.
Sur ce, il les jeta au loin et s'en trouva très soulagé. Il poursuivit sa route et, après un long moment, rencontra un autre paysan qui l'interrogea:
"Dis-moi, promeneur fatigué, pourquoi portes-tu cette pastèque à moitié pourrie sur ta tête et pourquoi traînes-tu ces lourdes chaînes en fer derrière toi?"
Sur ce, le promeneur répondit:
"Je te remercie de me l'avoir fait remarquer, je ne réalisais pas la souffrance que cela était pour moi."
Il laissa tomber ses chaînes et jeta la pastèque pourrie dans le fossé. Il se sentit soulagé, mais après un certain temps il recommença à soupirer. Un paysan, qui rentrait chez lui, le considéra avec étonnement:
"Mon ami, tu portes déjà du sable dans ton sac à dos, mais ce que tu vois là-bas, au loin, est du sable comme tu ne pourras jamais en porter. Et ta gourde remplie d'eau? Pensais-tu traverser un désert? N'as-tu pas vu qu'un ruisseau coule tout au long de ce chemin?"
"Je te remercie vivement de tes observations. Je ne m'étais pas rendu compte que je transportais tout cela."
Et il vida la gourde, et déversa le sable dans un trou au bord de la route. Finalement, il se considéra de la tête aux pieds, et remarqua soudainement que la grosse pierre qu'il portait autour du cou le pliait en deux. Il la détacha et la lança au loin. Libéré de toutes ses charges, il poursuivit son chemin dans l'air frais de la soirée, à la recherche d'un lieu pour dormir.
Cette histoire est très représentative de la situation de nombre d'entre nous. Elle nous fait réfléchir sur ce que nous nous imposons.
Porter le fardeau de la vie sur notre dos, jour après jour, peiner sur une route sans fin, donc sans espoir, cela semble être une de nos occupations préférées. Seul le regard ouvert des autres nous permet de changer le regard que nous portons sur nous-mêmes. Nous ne voyons plus ce que nous trimbalons avec nous et contre nous. Une pierre vient s'ajouter à une autre, le chemin devant nous semble interminable, nous sommes de plus en plus fatigués et sans joie, et pourtant nous ne ressentons pas le poids de ce que nous nous imposons à nous-mêmes. Nous sommes enchaînés à nos vies par d'invisibles contraintes qui nous immobilisent. Souvent ces contraintes sont des choses dont nous avons peur de manquer, comme le sable ou l'eau pour peu qu'on se donne la peine de les chercher du regard. Nous ne sommes pas sincères avec nous-mêmes et en devenons aveugles.
J'affirme qu'un regard neuf, extérieur, peut nous rendre attentif à notre comportement et nous conduire à l'abandonner, mais en pratique cela ne va pas de soi. Notre résistance est grande, et plus elle est grande, plus il faut du temps pour admettre qu'il faut lâcher du lest.
Nous sommes en attente d'une meilleure vie, mais nous ne voyons pas combien nous sommes loin de la vie en général. Nous restons attachés à nos souffrances passées, nous nous emplissons de ressentiment, de colère, nous sommes inconscients de la vie que recèle chaque instant du ici et maintenant.
Laissez tomber les vieilles histoires! N'anticipez pas sur le futur!
Soyez là et acceptez de vivre ce qui est, maintenant, tout simplement.
Liliane Reuter