Il était une fois une petite fauvette très gentille dont la voix dérapait souvent. Quelque chose se coinçait dans sa gorge, et le son qui sortait de son bec était discordant, si éraillé qu'on aurait dit une vieille poulie rouillée qui grinçait.
Une année, au printemps, sa voix devint si désagréable, si épouvantable, qu'elle ne pouvait répondre aux chants des fauvettes mâles, qui, comme vous le savez, envoient des signaux d'amour toute la journée en espérant une réponse.
Elle décida donc de faire quelque chose pour sa voix cassée, de consulter un spécialiste. Celui-ci lui révéla qu'elle avait un oedème sur les cordes vocales, gros comme une petite bille et que c'était ça qui détraquait sa voix.
Comme tous les spécialistes il proposa une intervention simple, presque sans douleur. La petite fauvette dit qu'elle allait réfléchir et rentra chez elle. Elle vivait seule et appela au téléphone une amie proche pour lui parler du diagnostic du médecin, pour lui dire ce qui lui était arrivé.
Mais là, au téléphone, impossible de se rappeler le mot utilisé par le docteur.
- Oui, il m'a dit que j'avais un ... un...
Impossible de se souvenir, le mot ne sortait pas de sa bouche, de son bec veux-je dire!
Elle raccrocha en disant:
- Ca va me revenir, je te rappelle...
Le lendemain, au travail, elle tenta d'en parler à sa collègue, mais là aussi impossible de se rappeler le mot, impossible de retrouver ce que le médecin avait dit.
- C'est pas un kyste, c'est un truc qui empêche les cordes vocales de vibrer.
Le temps passa, la fin du printemps arriva. Un soir qu'elle écoutait une chorale qui chantait les airs d'un opéra à succès, Notre-Dame de Paris, certains l'émurent très fort, surtout la chanson qui parlait des demandeurs d'asile. Le mot asile lui donna envie de pleurer. Elle repensa à son propre désir de chanter un jour dans une chorale, au plaisir d'offrir sa voic et soudain dans sa tête résonnèrent les mots suivants:
"J'ai un noeud-d'aime, un noeud-d'aime, un noeud-d'amour!" Mais bien sûr, c'est l'évidence même!
"Tous les "je t'aime" qui sont restés coincés dans ma gorge, tous les "je t'aime" qui sont restés coincés dans ma gorge, tous les "je t'aime" de mon enfance, à tous ceux, papa, maman, grand-père, qui n'ont pu les recevoir!"
Elle pensa:
"C'est extraordinaire, moi qui voulais chanter, trouver un son juste à ma voix, ni trop haut ni trop bas, moi qui souhaitais entendre une voix vraie, ma voix, et surtout suivre ma voie à moi. Le jour où je pourrai dire tous les "je t'aime" qui m'habitent, je crois que mon noeud-d'aime se résorbera, que j'arriverai à chanter à gorge déployée!"
Elle écrivit au médecin pour lui confirmer qu'elle n'envisageait pas d'intervention de son oedème, mais qu'elle allait tenter de dénouer tous les noeuds-d'aime qu'elle avait consciencieusement noués dans sa vie d'enfant et d'adulte fauvette. Celui-ci fut très étonné d'entendre cette association de mots et cela le fit beaucoup réfléchir.
Car, vous me l'accorderez, c'est un comble pour une fauvette de faire un oedème sur ses cordes vocales, de ne plus pouvoir envoyer des signaux d'amour, elle qui avait tant besoin au contraire d'en témoigner.
La difficulté à dire "je t'aime" n'a d'égal que celle à oser reconnaître et accepter le besoin d'être aimé.
J. Salomé
proposé par mamadomi