pour traverser les épreuves?
En parlant de cocon, les gens évoquent plutôt une enfance trop confortable. Naître dans une famille heureuse, dans des conditions optimales, au sein d'un couple uni et aimant, avec des parents attentifs, donnant beaucoup d'amour et de liberté, sans gros problèmes matériels, serait-il fragilisant?
Un rien pourrait les démolir? Certains l'affirment, pour justifier leurs méthodes pédagogiques. Selon eux, il faut apprendre "la vie" aux enfants; traduisez: les contriantes, l'injustice, les punitions, la souffrance. Est-ce vraiment l'image de l'existence que nous voulons transmettre à nos enfants? Lorsque ma fille était à la maternelle, sa maîtresse m'a expliqué combien il était important qu'elle se prépare à obéir aux règles et à se soumettre aux contraintes, puisqu'elle allait en rencontrer toute sa vie! Elle avait trois ans! Ce n'est pas ma conception de l'existence, nous l'avons retirée de cette école insistant sur le conformisme social plus que sur l'épanouissement de chacun.
Les enfants à qui on n'impose pas d'obligations excessives, qu'on ne frappe pas, qu'on ne tente pas de contraindre ou de blesser, ne sont certes pas "endurcis", c'est-à-dire qu'ils n'ont pas revêtu de carapace. S'ils rencontrent de graves difficultés, leur première réaction ne sera peut-être pas de se protéger ou de fuir. Peut-être pleureront-ils plus que les autres. Mais n'est-ce pas là preuve de bonne santé psychique? Ils sont plus sensibles et c'est une bonne chose!
Nous déplorons l'insensibilité de ce monde et nous voudrions y conformer nos enfants?
Interpréter la manifestation d'émotions comme une faiblesse, une inaptitude à assumer, est obsolète.
La réalité montre que c'est exactement le contraire. Si taire ses affects aide au jeu de pouvoir et peut donc être utile pour manipuler autrui et gagner une bataille... sur le long terme, c'est la répression émotionnelle qui rend fragile, et non l'expression, pour autant que cette dernière soit juste et proportionnée.
Les rages qui obscurcissent nos cerveaux, les larmes qui nous font plonger dans un abîme de douleurs, les peurs qui nous paralysent, ne sont pas des émotions à exprimer. Ce sont des affects parasites qui ont un sens, mais ne sont que rarement reliés à l'ici et maintenant. Ces émotions-là sont à décoder, mais leur expression aggrave le problème.
Lors d'une conférence où j'abordais ce sujet, une jeune femme prit la parole pour dire que, dans son entreprise et dans le monde du travail en général, les émotions n'étaient pas entendues. Elle donna pour exemple ce qui venait de lui arriver. En réponse à une injustice, elle avait pleuré de détresse devant son patron, il s'en était servi contre elle.
Voici comment nous nous convainquons que les émotions ne sont pas accueillies! Elle croyait avoir exprimé! Mais seule la colère est appropriée face à une injustice! Des pleurs sont une invitation à un jeu de pouvoir à partir d'une position de victime, le patron y a répondu.
Les émotions justes nous rendent notre puissance et les émotions déplacées, disproportionnées, excessives, substitutives, élastiques... nous vulnérabilisent.
Dans l'esprit de la plupart des gens, les pleurs sont associés à la douleur. Si une personne sanglote, c'est qu'elle a mal. Et dans une tentative magique de supprimer la douleur, nous exigeons qu'elle taise ses larmes. Si elle ne pleure pas, elle a moins mal.
C'est vrai, c'est dur d'entendre quelqu'un souffrir. Mais nous sommes des adultes. N'est-ce pas injuste d'obliger une personne, et surtout un enfant, à taire sa douleur, à la gérer toute seule, simplement parce que nous sommes démunis?
Un enfant qui ex-prime ne garde pas en lui. Il a mal, certes, mais la douleur n'a pas le pouvoir de le détruire. A l'aide des larmes, il la traverse.
Un enfant qui doit taire ses larmes enferme en lui sa douleur. Il est seul avec elle. Il se replie sur son mal. Une part de son énergie psychique s'emploie à donner sens à cette douleur, à contenir les émotions, à moins souffrir. Toute cette énergie n'est plus disponible pour s'épanouir, apprendre, travailler à l'école ou établir des relations avec des copains. Il risque de sortir diminué de l'épreuve. Tôt ou tard, il exprimera sa détresse par un symptôme. Ses parents ne l'identifieront malheureusement pas toujours comme tel. Eczéma, pipi au lit, refus de s'alimenter, mauvaises notes, violence ou dépression sont quelques-uns de ces symptômes possibles... Les émotions peuvent rester enfouies des années et ne tenter une sortie qu'à l'âge adulte. Altérant la perception de la réalité, elles induisent échecs professionnels, mariages malheureux, erreurs et conflits. Les émotions explosent alors devant le licenciement ou le divorce ou implosent en cancer ou infarctus.
Les épreuves jalonnent la vie de tout humain, il est inutile d'en provoquer pour le blinder. Au contraire, aider un enfant à rester solide face à l'épreuve, à la traverser sans dommage, c'est l'accompagner dans la construction d'une base de confiance en lui, en ceux qui l'entourent et en la capacité de libération des émotions.
Le déni des émotions, le blindage, nous donnent l'illusion de passer entre les gouttes, mais nous savons aujourd'hui combien cette répression émotionnelle est toxique pour la santé physique et psychique.
Les émotions sont les outils dont la nature nous a dotés pour faire face aux difficultés de la vie, pourquoi s'en priver?