L'origine de la Réforme est liée à un événement financier: la vente des indulgences (remise des peines de l'enfer) par l'ami de Michel-Ange le pape Jules II pour financer la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome. Ce trafic de la grâce de Dieu contre l'argent du peuple (simonie) scandalisa le moine Luther. Cette débauche de dorures et cette profusion d'oeuvres d'art déplaisaient à ceux qui auraient préféré voir cet impôt déguisé consacré à des oeuvres plus utiles: le secours des pauvres mais aussi l'entretien des routes, l'assèchement des marais ou l'éclairage des villes.
Ces âmes insoumises se recrutaient surtout en Europe du Nord, là où l'économie marchande des artisans urbains et le commerce portuaire de l'association de villes maritimes
En sens inverse, le capitalisme emprunta à la nouvelle religion une préférence pour l'investissement durable (la vie éternelle ou l'épargne à long terme et un refus des dépenses somptuaires (le train de vie du clergé), l'exaltation du travail et le mépris de l'oisiveté (la "paresse" des moines et le gaspillage des fêtes chômées), la reconnaissance de la liberté (de faire le bien et d'entreprendre) et la critique du centralisme (pontifical ou impérial).
La Réforme fut aussi la cause ou la conséquence de l'émergence de petites républiques comme les Provinces-Unies (des Pays-Bas) ou les cantons suisses. Elle fut enfin la fille de l'imprimerie (l'invention de Gutenberg divisa par huit le prix d'une bible) et la mère de l'instruction (la première école primaire obligatoire au monde fut créée par Calvin à Genève, trois siècles avant Jules Ferry).
Une explication théorique de ces phénomènes complexes fut tentée, en 1905, par le sociologue allemand Max Weber. Celui-ci rechercha des causes spirituelles aux mutations économiques, s'opposant ainsi au matérialisme de Marx. Weber montra l'importance du travail dans la théologie de Luther (ex-moine "oisif") et le rôle central de l'ascétisme (source d'épargne) dans les Eglises issues du calvinisme. Il intitula donc son ouvrage L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme.
Et les commentateurs caricaturèrent trop souvent la pensée tout en nuances d'un livre où les notes sont plus longues que le texte. Weber s'était montré très prudent: il avait mis le mot "esprit" (Geist) entre guillemets et avait affirmé "le caractère très provisoire" de ses essais et études destinés à "être bientôt dépassés".
Or, en 1905, les trois premières puissances économiques du monde étaient trois pays majoritairement protestants: les Etats-Unis, l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Mais quand le livre de Weber fut traduit en français, en 1964 seulement, on parlait du "miracle français" ou du "miracle italien" pour s'extasier devant le progrès économique de ces pays catholiques. En France où, laïcité oblige, Weber avait été ignoré pendant soixante ans, on prit pour parole d'évangile ce que Max Weber tenait pour des hypothèses.
L'immense mérite de celui-ci fut de ne pas céder à l'antijudaïsme ambiant: là où la presse populaire voyait derrière la dureté du capitalisme la rapacité de la "finance juive", Weber montra que la préférence pour l'avenir du prêteur était analogue à celle du croyant: le débiteur remboursera avec un intérêt et Dieu rendra au centuple.
Avec beaucoup d'érudition et peu d'expérience (il n'avait pas visité les pays dont il parlait), Weber établit des rapports entre confucianisme et puritanisme ou dévotion hindoue et retard économique. Il est bien difficile de savoir ce qu'il dirait aujourd'hui sur l'Asie des "dragons", la Chine des gratte-ciel, l'Inde de l'informatique ou le Pakistan de la bombe atomique. Quels rapports trouverait-il entre l'éthique bouddhique et l'esprit du capitalisme, les arts divinatoires des Chinois et leur goût de la spéculation boursière?
Nul ne le sait tant les interactions entre économie et théologie sont complexes. La croissance la plus rapide du dernier demi-siècle a été celle de Singapour, micro-Etat qui avait le niveau de vie du Bangladesh en 1960 (Singapour était si pauvre que la Malaisie n'en a pas voulu) et a celui de la France aujourd'hui. Or, Singapour est une mosaïque de presque toutes les religions proche-ou extrême-orientales et si l'on chercher à y promouvoir les "valeurs asiatiques", celles-ci sont très oeucuméniques pourvu qu'elles favorisent la réussite. L'argent n'a pas d'odeur, l'argent n'a pas d'Eglise. Il aide seulement à vivre selon le bon conseil de Jésus: "Faites-vous des amis avec l'argent trompeur" (Luc 16,9).