Toutes les religions venaient d'Orient, comme la civilisation. Le Proche-Orient nous a légué le blé et le vin symbolisant le corps et le sang du Christ mais aussi le mouton fêté par l'islam. Les "religions du Livre viennent de la region des plus vieux alphabets (à Ougarit, en Syrie, ville dont le dieu El est le prototype d'Elohim, dieu d'Israël, et dans le Sinaï, région éminemment biblique).
Les Romains étaient déjà friands de ces étranges divinités orientales: Cybèle dont les prêtres étaient châtrés, Jésus dont les disciples se faisaient "eunuques en vue du Royaume" (Matthieu 19, 12), Mithra dont les mystères étaient fermés aux femmes ou Adonis qui ressuscitait à chaque printemps avec la végétation et ses "pâquerettes". Mais ils ne méprisaient pas les divinités occidentales des Celtes et des Germains dont ils donnaient le nom à de nombreuses villes (Lyon, Laon et Londres étaient consacrées à Lug, dieu gaulois de la lumière).
Depuis Christophe Colomb, l'Amérique nous a donné le maïs, la pomme de terre et l'ananas mais elle ne nous a pas fait cadeau d'une religion autochtone, ses cultes indigènes ayant été exterminés par les Européens. Toutefois, les mouvements chrétiens d'effusion de l'Esprit-Saint, si importants dans le christianisme actuel, sont nés aux Etats-Unis, qu'il s'agisse du Pentecôtisme protestant (1906) ou des charismatiques catholiques (1968). Ces mouvements ont, dans le sens ouest-est, fait le tour de la planète où, désormais, le Saint-Esprit vient d'Occident. Et d'Amérique nous viennent aussi deux religions fondées par des Européens et se situant aux marges du christianisme: celles des mormons (dix millions de fidèles dans le monde) et des Témoins de Jéhovah (six millions de membres). Par leur créativité constante et leur concurrence sauvage en matière d'ingénierie confessionnelle, les Etats-Unis sont devenus le grand far-west des religions.
Certes, les religions nous semblent aussi venir d'Extrême-Orient et, sous le vocable flou de "sagesses orientales", on range les doctrines si différentes du bouddhisme, du taoïsme ou du confucianisme. Mais il est clair que, pour un Japonais, ces religions viennent du Proche-Occident qu'est la Chine ou du "far-west" de l'Inde. D'ailleurs, dans l'amidisme, école du bouddhisme très répandue en Chine et au Japon, le bouddha Amitâbha promet à ses fidèles un accès au "Paradis occidental". Quant au mont Kailash, montagne sacrée du Tibet, c'est l'extrême-ouest de ce pays.
La migration des croyances a connu les mêmes orientations dominantes pendant trois mille ans: à l'ouest de l'Indus, les mouvements ont généralement été tournés vers l'occident et ont véhiculé les "grandes invasions' des "barbares" et les grandes religions des sémites (judaïsme, christianisme, islam).
A l'est de l'indus, le sens inverse (ouest-est) a dominé, et si les religions de l'Inde ont gagné la Chine et le Japon, les religions de la Chine et du Japon ne se sont jamais implantées en Inde. Par la "route de la soie" comme âr l'océan Indien, le bouddhisme s'est propagé en Indochine, en Chine et au Japon, l'hindouisme à Bali et l'islam en Indonésie et en Malaisie: aujourd'hui, pour regarder vers La Mecque, plus de 60% des musulmans du monde tournent leurs tapis de prière vers l'ouest. Quant au christianisme, prêché par des missionnaires européens ou américains, il est arrivé soit par l'ouest via l'Asie Mineure ou l'océan Indien, soit par l'est depuis les côtes californiennes.
Mais si l'on remonte aux temps protohistoriques ou préhistoriques, ces directions n'ont plus de sens. La religion indienne védique était "indo-européenne", apparentée aux cultes iraniens, romains ou scandinaves et les mouvements de population se sont effectués au hasard des opportunités climatiques ou de la fortune des armes. Plus loin dans le temps, le chamanisme sibérien a probablement influencé les religions amérindiennes lorsque les Asiatiques ont traversé le détroit de Béring et se sont ensuite déplacés dans un sens nord-sud.
Dire que -toutes les religions viennent d'Orient", c'est privilégier les méridiens au détriment des parallèles. Or, les grands fondateurs de religions comme Jésus, Bouddha, Mahomet, Lao-tseu ou Confucius prêchaient tous à proximité du trentième parallèle, dans une zone climatique favorable à l'émergence de l'agriculture et de l'élevage, cette "révolution" néolithique qui bouleversa l'existence humaine et la vie sociale. C'est là que l'homme fonda des villes et créa des dieux avant d'exporter ses richesses et ses croyances vers des zones encore incultes, vers notre "Occident" nordique alors sous-développé.