Les pharisiens et les scribes
ont reçu les clefs de la connaissance
et ils les ont cachées.
Ils ne sont pas entrés à l'intérieur
et ceux qui veulent entrer,
ils les en empêchent.
Vous, soyez attentifs comme le serpent
et simples comme la colombe.
Mais comme le montre bien Dostoïevski, le grand inquisiteur veille (et le grand inquisiteur, il est en chacun de nous). Il s'adresse ainsi au Christ: "Tu as révélé aux hommes une trop grande liberté. Ils sont malheureux. Ils ne savent pas quoi en faire. Nous, nous leur avons enseigné ce qui est bien, ce qui est mal. Nous leur avons dit ce qu'il faut faire... Ils sont peut-être moins libres, mais ils sont plus heureux."
Dans la voix du grand Inquisiteur, on reconnaît la voix de tous les régimes totalitaires qui veulent faire le bonheur de l'homme, mais sans que l'homme y participe par sa liberté...Les scribes et les pharisiens ont reçu les clefs de la connaissance mais ils ne veulent pas s'en servir pour ouvrir la porte à tous les hommes. Ils gardent le trésor des paroles égangéliques pour eux ou -plus grave, ils les réduisent, ne leur donnant qu'un sens vulgaire ou grossier. Ils n'ont pas été des "herméneutes": "Ils distribuent les noix, sans briser la coquille et les enfants se cassent les dents. Ils ne sont pas entrés dans l'amande -dans le noyau du message."
Ce qui a été perdu, c'est le sens de l'initiation ou du pasage. L'art de l'herméneute, c'est de faire "passer" d'un plan de conscience à un autre jusqu'à atteindre l'Esprit dans lequel cette Parole a été prononcée.
Les Pères de l'Eglise distinguent généralement plusieurs niveaux d'interprétation de l'Ecriture:
- niveau charnel, historique;
- niveau psychique, éthique;
- niveau spirituel, ontologique.
Il s'agit de passer d'un niveau à un autre, sans en nier aucun.
Par exemple, on peut lire le Cantique des cantiques comme le roman d'amour d'un berger et d'une bergère, ou comme l'histoire symbolique des relations de Dieu avec Israël ou de l'Eglise avec le Christ, ou encore comme le récit des aventures de l'âme avec son Dieu, description mystique de l'union du créé et de l'incréé (saint Grégoire de Nysse et, plus tard saint Jean de la Croix).
Cette herméneutique, respectueuse des différents niveaux de significations dans lequel peuvent être entendues les Ecritures, n'est que peu pratiquée aujourd'hui, comme elle n'était que peu pratiquée du temps de Jésus.
La Thora était devenue une loi qui enferme et qui culpabilise au lieu d'être une loi de liberté qui préserve l'homme de ce qu'il y a de plus mauvais et destructeur en lui et dans le monde.
Ce que Jésus reproche également aux scribes et aux pharisiens, c'est de "se servir" de la Parole au lieu de la servir. On peut en effet se servir de l'Ecriture pour affirmer son pouvoir pour dominer les autres. C'est sans doute là le pouvoir le plus dangereux et le plus pervers parce que prétendant parler au nom de Dieu. Il s'introduit dans la conscience de l'autre et prétend la diriger. La parole de Dieu ne donne aucun pouvoir, sinon le pouvoir d'aimer et de servir davantage.
La connaissance que communiquent les textes sacrés est faite d'attention et de simplicité comme l'indique la suite du logion: "Vous, soyez attentifs comme le serpent et simples comme des colombes!" Le gnostique, ce n'est pas un homme qui possède un savoir particulier. C'est un homme simple au coeur innocent, sans souci de lui-même, attentif à ce qui est devant son visage. La gnose communiquée par Jésus développe dans l'homme une attitude méditative devant ce qui est, une attitude non duelle, non ratiocinante, sans projection, sans jugement. Il s'agit de "voir" simplement.
Il est beau aussi de remarquer que Jésus demande à ses disciples de ressembler au serpent et à la colombe.Le serpent rampe à terre, la colombe s'élève dans le ciel... Il s'agit de savoir se tenir à ras de terre, sans perdre son élan vers le ciel. Tenir ensemble les qualités de ces deux animaux, c'est encore une fois unir les contraires. Tenir ensemble la terre et le ciel.
traduit et commenté par J.-Y. Leloup