~Un~
Les hommes sont tumultueux comme la tempête et moi, je soupire en silence. Car je sais que la furie de la tempête finit par disparaître, engloutie par les abysses du temps; quant au soupir, il demeure aussi longtemps que Dieu demeure.
Les hommes s'agrippent à la matière froide comme neige et moi, je recherche la flamme de l'amour pour la serrer contre ma poitrine afin qu'elle dévore mes côtes et rogne mes entrailles. Car j'ai compris que la matière tue l'homme sans le faire souffrir et que par la souffrance l'amour le fait vivre.
Les hommes se divisent en communautés et tribus et appartiennent à des pays et régions. Mais je me sens étranger dans un seul et même pays et exclu dans une seule et même nation. C'est que la terre tout entière est ma patrie et l'humanité ma famille. J'ai compris que les hommes sont si faibles qu'il est mesquin de les voir se diviser et que la terre est si étroite qu'il est stupide de la voir divisée en royaumes et principautés.
Les hommes s'épaulent pour démolir les temples de l'esprit et s'entraident pour bâtir des édifices du corps. Je me tiens debout, seul à déplorer cette scène funèbre et pourtant j'entends dans mon for intérieur la voix de l'espoir, qui dit: "A l'instar de l'amour qui fait vivre le coeur humain par la souffrance, la stupidité lui enseigne les voies de la connaissance. La souffrance et la stupidité concourent à un suprême plaisir et une parfaite connaissance, car la sagesse éternelle n'a rien créé de vain sous le soleil."
Khalil Gibran
proposé par mamadomi
art philo n°250