Dans les ténèbres de la nuit elle marche lentement;
Pareille à la nuit, elle apparaît terrifiante.
Seule marche-t-elle comme si la terre
N'avait rien créé d'aussi colossal et seigneurial.
Elle foule le sol à pas ailés,
comme les sommets qui effleurent les franges des nuées.
Son corps dans tout son apparat semble être composé
De rayons, de brume et de nébuleurs.
Je lui dis: "Ô fantôme, qui empêche la nuit de s'écouler,
Êtes-vous un djinn ou un être humain?"
Elle répondit avec une voix qui vibrait de courroux mêlé de
dédain:
"Je suis l'ombre du destin."
Je dis alors: "Non, car la mort est une aurore;
Dès qu'elle se lève, elle tire de sa torpeur celui qui dormait."
Elle répondit avec arrogance: "Je suis la gloire;
Et celui qui ne me parvient pas meurt- de sa propre défaillance."
Alors je lui dis:" Non, car la mort est une ombre
Qui s'étiole entre tombe et linceul."
Elle répondit avec une moue incrédule:
"Je suis le secret qui, entre corps et esprit, déambule."
Je dis alors: "Non, car si le secret est révélé
Par l'éveil de la pensée, il s'évanouira comme un rêve."
Elle répondit avec affliction:"Cesse de m'interroger sur qui je suis."
Je lui rétorquai:"Questionner serait-ce blâmer?"
Elle dit, fronçant les sourcils:"Je suis toi.
Inutile d'interroger terre et ciel sur mon identité.
Si tu veux me connaître, regarde-toi
Dans le miroir matin et soir."
Aussitôt qu'elle eut dit ces mots, elle disparut de ma vue,
Comme une fumée dissipée par le vent,
En laissant ma pensée errer
Parmi les ombres de la nuit jusqu'au petit matin.
Khalil Gibran
proposé par mamadomi
rééd° 16 01 09