Dans le lot des idées reçues, Odon Vallet cerne le sujet du voile d'une plume précise et je vous livre ici l'essentiel de son propos qui me semble un éclairage profitable sur cette idée fausse que
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Appel pour la défense du droit à l’anonymat sur Internet
Soutien pour le droit à un habitat
choisi/modeste/écologique/citoyen: la yourte
Léa et Tom condamnés par l'état
- hors de toute loi spécifique, à devenir SDF, lire/signer ICI
soutenons le peuple syrien, pétition
Pour une Tunisie et une Egypte
courage aussi aux Yéménites, avec la révolution des femmes:
Hommage à Stephane Hessel, récemment il avait subi la censure pour s'être exprimé contre les choix du gouvernement israëlien à l'encontre du peuple palestinien
ici, extrait de son indignation chez Taddeï
là ses voeux de résistance 2011
en savoir plus à la fin de cette page en clic
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Le poids de la parole publique enjoint une responsabilité et une prudence éthique qui, de toute évidence,
lui pèsent dans son fantasme de toute puissance infantile tellement patent.
Dans le lot des idées reçues, Odon Vallet cerne le sujet du voile d'une plume précise et je vous livre ici l'essentiel de son propos qui me semble un éclairage profitable sur cette idée fausse que
Encore une idée reçue, que j'ai eu du mal à recadrer correctement aujourd'hui...
bon, c'est tellement mieux dit par Odon Vallet, qui titre:
illustrations par Rabarama
"Le soleil s'obscurcira, la lune perdra de son éclat,
les étoiles se mettront à tomber du ciel"
(Marc 13,25)
Ce genre de paroles est rare. Il s'agit en fait de citations convenues empruntées à des lieux communs de la littérature prophétique (cf Isaïe 13,10, Ezéchiel 32,7, Amos 8,9) et dans le Nouveau Testament, le livre de l'Apocalypse.
Il faut avouer que ce genre littéraire nous est devenu incompréhensible. D'où le contresens d'Albert Schweitzer quand il affirme que Jésus s'est trompé en annonçant une catastrophe imminente qui ne s'est pas réalisée.
En réalité, il ne faut pas prendre ces expressions au pied de la lettre, comme le font par ex aujourd'hui les sectes chrétiennes fondamentalistes. Les prophètes parlaient d'une espérance "apocalyptique", une sorte de "grand soir"; la prédiction d'événements précis ne fait pas partie du genre littéraire prophétique.
Jésus aurait par ex prédit la chute du Temple de Jérusalem. Mais il est trop évident que ce genre de paroles a été mis dans sa bouche par les chrétiens qui ont sélectionné et traduit les textes du Nouveau Testament dans leur dernier état après l'an 70 de notre ère, date à laquelle, effectivement, les Romains détruisirent le Temple. Il est toujours plus facile de prédire l'avenir quand il s'est déjà produit!
Or Jésus n'a rien prédit, à l'exception de sa propre mort. Mais celle-ci devenait une éventualité de + en + probable pour n'importe quel observateur, étant donné l'opposition de + en + grande des autorités et des notables, opposition dont Jésus avait une vive conscience.
Ce sont les communautés de la primitive Eglise qui se sont trompées car elles croyaient avec ferveur à l'imminence de la fin des temps.
Une chose en tout cas est certaine: les paroles attribuées ou non à Jésus dans le Nouveau Testament, les évangiles, épîtres, Actes, Apocalypse, renvoient à une source unique. Bien sûr certaines ont été composées par les communautés chrétiennes postérieures. Mais pour l'essentiel on ne saurait s'y tromper - un homme particulier, Jésus de Nazareth, a bien prononcé ces logia inimitables. C'est l'ex le + éclatant dans l'Histoire de génie oral. Il n'a rien écrit si ce n'est sur le sable devant la femme adultère, mais il a vécu et parlé.
J-C Barreau
proposé par mamadomi
rééd° du 31 03 13
"...On dirait que le peuple tombe de + en + dans l’indifférence, que les droits qui lui ont coûté le plus cher, ont cessé de lui paraître précieux, qu’il voit sans inquiétude violer ou éluder les lois qu’il a eu le plus de peine à conquérir et qu’il laisse sortir de sa mémoire tout ce qu’ont fait ses pères, et que le peuple se montre disposé à souffrir ce qu’il n’eut jamais supporté auparavant..."
On dit qu’il y a 3 millions de personnes qui veulent du travail...
C’est pas vrai, de l’argent leur suffirait.
La politique est l’art d’obtenir de l’argent des riches et des suffrages des pauvres, sous le prétexte de les protéger les uns des autres.
Pour triompher, le mal n’a besoin ...
que de l’inaction des gens de bien.
La folie est de toujours se comporter de la même manière...
et de s’attendre à un résultat différent.
Marc Chagall, Cantique des cantiques
L'influence du christianisme
En accentuant l'opposition entre le corps et l'esprit déjà présente dans la philosophie idéaliste grecque, le christianisme va conduire à un renforcement de la condamnation des plaisirs olfactifs. Cet antagonisme n'existait pas dans l'Ancien Testament.
Aucun mépris pour le corps et la parure dans la Bible. Le Cantique des Cantiques, pour louer la beauté, "objet même du désir", utilise les métaphores les + sensuelles et les + raffinées. Il compare le corps des amants à des pierres, des matières et des métaux précieux, des parfums rares, des fleurs odorantes, des jardins embaumés distillant à profusion des senteurs exquises. "Ta personne est un jardin raffiné", dit la fiancée à son bien aimé. C'est un "sachet de myrrhe", une "grappe de henné". Ses joues sont un parterre odorant qui produit des aromates; ses lèvres, des lys qui répandent de la myrrhe. Ses membres, son ventre, ses mains, sont faits d'or, d'albâtre, d'ivoire et couverts de saphirs, de topazes... Quant à la jeune fille, c'est un "narcisse de la plaine", un "lys des vallées", un jardin rempli de henné, de nard, de safran, de cannelle, d'aloès, d'arbres à encens. Nulle censure à l'égard de cequi embellit le corps et le rend désirable. Il est vrai que l'histoire mouvementée du peuple juif l'a mis fréquemment au contact des peuples orientaux ches qui l'usage des bijoux, des parfums et des onguents étai particulièrement en honneur.
On trouve, par contre, dans les Evangiles une critique voilée de l'usage profane du parfum. Lorsque Marie-Madeleine, en signe de repentir, lave les pieds du Christ avec une livre de nard pur, Judas Iscariote la désapprouve en s'écriant:
"Pourquoi n'a-t-on pas vendu ce parfum 300 deniers pour le donner aux pauvres?
- Laisse-la, lui répond Jésus, elle observe cet usage en vue de mon ensevelissement."
Face à la réaction indignée de l'argentier des apôtres devant un gaspillage inutile, le Christ légitime ainsi le geste de Marie-Madeleine (qui deviendra la patronne des parfumeurs) en lui donnant un sens sacré: le coûteux nard a été versé à une fin religieuse, en vue d'un rite funéraire.
La défiance vis-à-vis des parfums trouve un appui dans les écrits de Saint Paul. Tout ce qui flatte le corps élève un obstacle entre l'homme et Dieu:
"Ecoutez-moi: marchez sous l'impulsion de l'Esprit et vous n'accomplirez plus ce que la chair désire. Car la chair, en ses désirs, s'oppose à l'Esprit et l'Esprit à la chair; entre eux, c'est l'antagonisme."
Ce rejet de l'enveloppe charnelle conduit à celui de la parure. Saint-Pierre demande son abandon:
"Que votre parure ne soit pas extérieur: cheveux tressés, bijoux d'or, toilettes élégantes; mais qu'elle soit la disposition cachée du coeur, parure incorruptible d'un esprit doux et paisible."
Une étape supplémentaire dans cette condamnation est franchie avec certains Pères de l'Eglise qui incitent à la mortification et jettent l'anathème sur tous les artifices de beauté liés à la prostitution et à la débauche.
"Il n'y a rien de bon dans la chair", déclare Saint Clément.
Aussi l'homme de Dieu doit-il
"mortifier les oeuvres de la chair... assujettir son corps, le réduire en servitude et le châtier."
Tertullien exhorte les chrétiennes à ne pas travailler à la perte de leurs frères par de vains embellissements qui portent dans les coeurs le feu de la convoitise. Il les engage même à s'enlaidir pour refréner les élans impudiques:
"Puisque donc l'empressement pour des attraits pleins de dangers met en cause à la fois notre sort et celui des autres, sachez que vous êtes désormais tenues non seulement de repousser loin de vous les artifices calculés qui rehaussent la beauté, mais encore de faire oublier, en le dissimulant et en le négligeant, votre charme naturel, comme également préjudiciable aux yeux qui le rencontrent."
Une réprobation générale englobe tous les ornements qui mettent en valeur le corps et l'amollissent, ne le préparant ni à la chasteté ni à résister aux persécutions dont sont victimes les chrétiens:
"Je me demande d'ailleurs si la main qu'enserre habituellement un bracelet supportera de s'engourdir dans la dureté d'une chaîne, je me demande si la jambe dont un anneau fait le charme endurera d'être serrée dans les fers. Je crains qu'une nuque encombrée d'un lacis de perles et d'émeraudes ne laisse de place pour l'épée."
<Joséphine Wall
Dans le monde antique finissant, la lutte contre le désir menée par les évêques a pour but de promouvoir un idéal de chasteté conçu comme la voie royale pour approcher Dieu. La morale chrétienne se présente d'ailleurs sans déguisement comme castratrice:
"... C'est nous que le Seigneur forme à sacrifier en quelque sorte et à châtrer, si j'ose dire, le monde. Nous sommes, nous, les parfaits circoncis, dans l'esprit comme dans la chair, car c'est à la fois spirituellement et charnellement que nous pratiquons la circoncision des biens du monde".
Dans cette perspective, tout ce qui avantage le corps et favorise la concupiscence est proscrit. Alors que les onguents et les parfums de la courtisane grecque ne font que souligner sa position en marge des liens légitimes de l'institution matrimoniale, la femme chrétienne qui se pare ne se démarque pas de la païenne et commet un péché puisqu'elle excite la convoitise.
"Fardons-nous pour perdre les autres", fumine Tertullien.
J. Monnet, Cantique des cantiques
Pour engager les "servantes de Dieu" à se différencier de celles "du diable", le théologien carthaginois ne craint pas d'agiter un spectre + effrayant peut-être encore que celui de la damnation éternelle: la calvitie et la folie!
"Mauvais présage pour elles qu'une tête couleur de flamme! De +, elles croient embellir ce qu'elles dégradent: c'est un fait que la puissance corrosive des drogues nuit à la chevelure et que, d'autre part, l'application répétée de n'importe quel liquide, même pur, est la ruine assurée du cerveau."
Non contentes de détourner toutes ces substances aromatiques de l'usage pieux auquel elles sont destinées, les chrétiennens font de leur tête un autel qu'elles inondent de parfum en l'honneur de l'esprit immonde. Au jour du jugement dernier, toutes ces coquettes s'imaginent-elles ressusciter avec leur fard, leur vermillon, leurs parfums et leurs superbes chevelures? Les seules senteurs désormais tolérées sont celles offertes à Dieu par des âmes ferventes.
Antoine-Hubert Louis, Cantique des cantiques
Saint Jean Chrysostome oppose le parfum délicieux du repentir et de la prière à la "fumée noire et puante" qui émane des pêcheurs. Une nouvelle symbolique de l'odeur est ainsi affirmée. Alors que les coeurs purs exhalent des senteurs délicates qui leur font obtenir pardon et protection, les pêcheurs, malades d'une "invisible peste", dégagent des relents qui attirent le courroux divin:
"Si l'on voyait dans cette ville un homme porter de rue en rue un corps mort plein de puanteur, qui ne le fuirait et n'en aurait de l'aversion? Vous êtes vous-même cet homme et c'est ainsi que vous portez partout une âme morte, rongée de vers et pleine de pourriture. Comment osez-vous, étant rempli de tant d'ordures et de saletés, entrer dans l'église de Dieu et vous présenter dans son Saint Temple? Que ne devez-vous point attendre, vous qui pouvez sans rougir aller infecter ce temple sacré de Jésus-Christ par vos puanteurs insupportables? Que n'imitez-vous cette sainte pécheresse qui parfuma les pieds du Sauveur d'une huile précieuse dont l'odeur excellente remplit toute la maison? Vous faites tout le contraire en vous présentant plein de puanteur. Il est vrai que vous ne la sentez pas."
Frantisek Kupka
Cette lutte contre la concupiscence, pièce maîtresse de l'éthique chrétienne, se poursuivra pendant des siècles. La répression de la volupté, condition du salut, est prônée sans relâche. Le corps parfumé, paré et désiré du Cantique des Cantiques a cédé progressivement la place à un corps mortifié qui ne doit en aucun cas exciter la convoitise. Les ascètes s'efforcent, par la continence, de devenir des offrandes odorantes. Leur parfum de sainteté, émanant d'un corps devenu inaltérable, établit ici-bas un lien avec l'au-delà.
"Baume précieux qui donne l'incorruptibilité",
la chasteté met sur terre, au rang des bienheureux, celui qui a renoncé à vivre selon la chair. L'effort du saint ne consiste pas seulement à produire de son corps châtié de suaves effluves, il lui faut aussi "jardiner" pour les narines divines:
"combien je m'estimerais heureux de pouvoir cultiver la fleur de votre jeunesse et d'en offrir à Dieu l'agréable parfum!" écrit Saint Bernard au prévôt de Bervela.
La seule odeur désormais agréée a une fonction mystique: celle de l'encens qui s'élève vers Dieu comme la prière, celle de la chair devenue incorruptible sous l'effet de la chasteté, celle immatérielle des élus et, odeur exemplaire entre toutes, celle du Christ sacrifié.
Chez Saint Thomas d'Aquin, la représentation de l'odorat et de l'odeur est révélatrice de son souci de concilier l'aristotélisme et la foi chrétienne. Elle s'élabore à partir d'une hiérarchie des sens établie en fonction du "mode de modification" susceptible d'affecter tant l'organe lui-même que l'objet de sa perception.
- La vue qui s'exerce sans aucune variation physique de l'organe est la + parfaite, la + universelle, la + spirituelle de toutes les facultés.
- Ensuite viennent l'ouïe et l'odorat qui supposent une modification physique de l'objet.
- Quant au goût et au toucher, qui subissent un changement physique, et de l'organe, et de l'objet, ce sont les + matériels de tous les sens. A mi-chemin entre les sens que lui conférait Aristote. Mais elle sera capable de procurer des plaisirs d'un niveau encore supérieur, non plus simplement esthétiques mais "immatériels". Ces jouissances olfactives ne seront accessibles qu'aux seuls élus qui bénéficieront de l'acuité olfactive nécessaire pour percevoir les senteurs les + subtiles.
Les élus eux-mêmes répandent un parfum particulier, sublimation de l'odeur charnelle parvenue "à son dernier degré de perfection". L'odeur de ces corps glorieux ne sera ni émanation ni corruption. Elle aura perdu son substrat sensible habituel. Pour convaincre les sceptiques qu'il existe des cas où l'odeur "ne produit dans le milieu et dans l'organe qu'une impression immatérielle, sans émanation qui les atteigne", Saint Thomas recourt à cet ex: le cadavre qui, le fort loin, attire les vautours ne saurait dégager d'effluves portant à de telles distances et, pourtant, les rapaces les perçoivent.
Jacques Bodin >
Mais la quintessence de l'odeur, c'est celle du Christ offerte à Dieu en sacrifice, parfum de la Sagesse et de la Connaissance. Le rite de l'encensement la matérialise; encensement de l'autel d'abord, symbole de la grâce dont le Christ fut rempli comme d'un parfum agréable selon la parole de la Genèse:
"Voici que le parfum de mon fils est comme le parfum d'un champ fertile",
encensement des fidèles ensuite, image de cette grâce déversée sur eux ainsi qu'il est dit dans la 2ème épître aux Corinthiens:
"Par nous [le Christ] répand en tous lieux le parfum de sa connaissance"
Il n'y a en définitive, dans la philosophie thomiste, ni rejet du corps ni dépréciation manifeste de l'olfactif. Mais pour Thomas d'Aquin comme pour Aristote, l'âme est "forme" du corps, autrement dit principe de vie et d'organisation de celui-ci. Aussi l'odorat et l'odeur ne sont-ils valorisés que lorsqu'ils sont épurés, spiritualisés.
Annick Le Guérer
Jacques Bodin
proposé par mamadomi
rééd° du 10 11 12
victor carbajo
Interdépendance et
globalité des phénomènes
Le concept d'interdépendance va au coeur de la réalité et ses implications sont immenses. La question est simple et fondamentale: une "chose" -mieux vaudrait dire un "phénomène" -peut-elle exister de façon autonome? Si tel n'est pas le cas, de quelle manière et jusqu'à quel point les phénomènes de l'univers sont-ils interconnectés? En physique, le phénomène EPR et l'expérience du pendule de Foucault suggèrent que la globalité constitue l'essence même de la réalité. Si les choses n'existent pas "en elles-mêmes", quelles conclusions pouvons-nous en tirer au niveau du vécu? Pour le bouddhisme, la réponse se trouve dans la notion d'interdépendance qui inclut la conscience, la déconstruction du "moi" et la dissolution de notre attachement à la réalité solide du monde qui nous entoure.
Thuan:
Le bouddhisme n'admet donc pas l'idée d'un principe créateur et rejette la notion d'univers parallèles. Il explique le réglage si précis des constantes physiques et des conditions initiales qui permettent à l'univers d'héberger la vie et la conscience par ce qu'il appelle l'"interdépendance des phénomènes". Pourrais-tu préciser cette notion?
Matthieu:
Selon le bouddhisme, la perception que nous avons du monde comme étant composé de phénomènes distincts issus de causes et de conditions isolées est appelée "vérité relative" ou "vérité trompeuse". L'expérience du quotidien nous porte à croire que les choses ont une réalité objective indépendante, comme si elles existaient de leur propre chef et possédaient une identité intrinsèque. Mais ce mode d'appréhension des phénomènes, cet accord intersubjectif au niveau des perceptions ordinaires des êtres pensants, est une simple construction de notre esprit qui, même entérinée par le sens commun, ne résiste pas à l'analyse.
Le bouddhisme réfute l'existence d'entités indépendantes pour arriver à la notion de relation et de causalité réciproques: c'est uniquement en relation et en dépendance avec d'autres facteurs qu'un événement peut survenir¹. Cette notion d'interdépendance est synonyme de vacuité,
...terme qui n'indique pas une négation du monde des phénomènes, mais l'absence d'entités autonomes en tant que composantes de la réalité.
On peut très bien faire l'expérience d'un phénomène sans lui allouer pour autant une existence propre. Le bouddhisme ne tombe pas dans le nihilisme, mais envisage
le monde comme un vaste flux d'événements
reliés les uns aux autres
et participant tous les uns des autres.
Notre mode d'appréhension de ce flux cristallise certains aspects de cette globalité de manière purement illusoire et nous fait croire qu'il s'agit d'entités autonomes dont nous sommes entièrement séparés.
Thuan:
Cette notion de "flux d'événements" rejoint la vision de la cosmologie moderne: du + petit atome à l'univers entier, en passant par les galaxies, les étoiles et les hommes, tout bouge et évolue, rien n'est immuable. Grâce à la théorie du big bang, l'univers a acquis une histoire.
Matthieu:
Non seulement les choses bougent, mais nous les percevons comme des "choses" parce que nous regardons les phénomènes sous un certain angle. Il faut donc se garder d'attribuer au monde des propriétés qui ne sont que des apparences résultant de la relation entre la globalité de l'univers et la conscience qui, elle-même, n'est rien d'autre qu'une partie de cette globalité. Les phénomènes sont de simples événements qui se manifestent en fonction des circonstances. Le bouddhisme ne nie pas la vérité conventionnelle, celle que l'homme ordinaire perçoit ou que le savant détecte. Il ne conteste pas les lois de cause à effet, ni les lois physiques ou mathématiques. Il affirme simplement que, si on va au fond des choses, il y a une différence entre la façon dont le monde nous apparaît et sa nature ultime, qui est dénuée d'existence intrinsèque.
Thuan:
Comment cette nature ultime des choses est-elle reliée à l'interdépendance?
Matthieu:
Le mot interdépendance est une traduction du mot sanskrit pratitya samutpada qui signifie "être par co-émergence" et peut s'interpréter de 2 façons complémentaires: "Ceci surgit parce que cela est", ce qui revient à dire que rien n'existe en soi, et "ceci, ayant été produit, produit cela", ce qui signifie que rien ne peut être sa propre cause.
Lorsqu'on dit qu'un phénomène "surgit en dépendance de...",
on élimine ainsi les 2 extrêmes conceptuels que sont
le nihilisme et le réalisme matérialiste.
En effet, puisque les phénomènes surgissent, ils ne sont pas non existants, et puisqu'ils surgissent "en dépendance", ils ne recouvrent pas une réalité douée d'existence autonome. Il faut donc comprendre que la production en interdépendance n'implique aucun des extrêmes que désignent les mots éternité, néant, venue au monde, disparition, existence et inexistence de quelque chose qui existerait en soi.
Une chose ne peut surgir que si elle est reliée, conditionnée et conditionnante, co-présente et co-opérante, et en transformation continuelle. L'interdépendance est intimement liée à l'impermanence des phénomènes et fournit un modèle de transformation qui n'implique pas l'intervention d'une entité organisatrice.
Une rivière ne peut pas être faite d'une seule goutte,
une charpente d'une seule poutre.
Tout dépend d'une infinité d'autres éléments.
C'est aussi le sens du mot "tantra", qui indique une notion de continuité et "le fait que tout soit lié en un ensemble, tel que rien ne puisse venir séparément²". En bref, il est impossible qu'une chose existe ou naisse par elle-même. Pour ce faire, elle devrait surgir du néant, mais, comme disent les textes: "Un milliard de causes ne pourraient faire exister ce qui n'existe pas.³" Le néant ne sera jamais le substrat de quoi que ce soit.
Considérons la notion d'une entité qui existerait indépendamment de toutes les autres. Cela impliquerait qu'elle n'ait pas de cause extérieure. Elle devrait soit exister depuis toujours, soit ne pas exister du tout. Immuable et autonome, cette entité ne pourrait agir sur rien et rien ne pourrait agir sur elle. L'interdépendance est nécessaire à la manifestation des phénomènes. Cet argument réfute tout aussi bien la notion de particules autonomes qui construiraient la réalité, que celle d'une entité créatrice toute-puissante et permanente qui n'aurait aucune autre cause qu'elle-même. De +, cette interdépendance inclut naturellement la conscience: un objet dépend également d'un sujet pour être objet. Schrödinger avait remarqué ce problème lorsqu'il écrivait: "Sans en être conscients, nous excluons le Sujet de la Connaissance du domaine de la nature que nous entreprenons de comprendre. Entraînant la personne que nous sommes avec nous, nous reculons d'un pas pour endosser le rôle d'un spectateur n'appartenant pas au monde, lequel par là même devient un monde objectif.*"
Thuan:
Le bouddhisme dirait donc que la vie et la conscience ont surgi dans notre univers à cause de l'interdépendance de tous les phénomènes. Nul besoin d'un principe anthropique?
Matthieu:
Le principe anthropique est une manière orientée et finaliste d'énoncer l'interdépendance non orientée et non finalisée. La version faible du principe anthropique selon laquelle "l'univers est ce qu'il est parce que nous sommes là**" ne suppose pas de finalité et se rapprocherait déjà + de la notion d'interdépendance selon laquelle les phénomènes "extérieurs" et la conscience existent "en participation" mutuelle, pour reprendre un terme d'Alan Wallace***>. La succession des univers n'a, pour le bouddhisme, ni début ni fin, et il en est de même des périodes successives d'apparition de la vie. Il y a donc depuis toujours compatibilité entre l'univers et la vie, et, par conséquent, entre l'univers et la conscience.
Même l'évolution de l'univers ne permet pas l'éclosion de la vie à tout moment,
en tout lieu et en tout temps.
Le fait que la vie soit apparue dans notre univers à un moment de notre histoire n'exclut en rien la possibilité qu'elle soit apparue dans des univers antérieurs au nôtre. Des étapes aussi spectaculaires et dramatiques que le big bang ne sont pas incompatibles avec l'existence d'un continuum. L'harmonie qui existe nécessairement entre les causes et leurs effets assure la continuité d'un cycle à l'autre et permet l'émergence de la complexité au sein du chaos sans faire appel à une entité qui tirerait les ficelles derrière le rideau.
L'interdépendance, c'est aussi celle des phénomènes ("notre" monde) et du sujet (la conscience) à qui ils apparaissent; c'est encore celle des relations entre les parties et le tout: les parties participent du tout, et le tout est présent dans les parties...
Thuan:
C'est cette relation des parties avec le tout qui est à l'origine de la beauté et de l'harmonie de l'univers...
Matthieu:
Enfin, l'aspect le + subtil de l'interdépendance est celui de la dépendance entre la "base de désignation" et la "désignation" d'un phénomène. La localisation, la forme, la dimension, la couleur ou toute autre caractéristique apparente d'un phénomène ne sont que des bases de désignation, leur ensemble ne constitue pas une "entité" ou un objet autonome. Cette désignation est une construction mentale qui attribue une réalité en soi au phénomène. Dans notre expérience de tous les jours, quand un objet se présente à nous, ce n'est guère son existence nominale qui nous apparaît, mais son existence en soi.# Mais lorsqu'on analyse cet "objet" issu de causes et de conditions multiples, on est incapable d'isoler une identité autonome.
On ne peut pas dire que le phénomène n'existe pas, puisque nous en faisons l'expérience,
mais on ne peut pas dire non plus qu'il correspond à une réalité en soi.
La conclusion est que l'objet existe
(on ne tombe pas dans une vision nihiliste des choses),
mais que son mode d'existence est purement nominal, conventionnel
(on évite ainsi l'autre extrême, celui d'entités autonomes, donc éternelles).
Un phénomène qui n'a pas d'existence autonome mais qui n'est pas non plus purement inexistant peut avoir une action, une fonction obéissant à la causalité et conduisant à des effets positifs ou négatifs. Il est donc possible d'anticiper les résultats de nos actes et donc d'organiser notre relation avec le monde.
Un verset tibétain explique:
"La vacuité ne signifie pas absence de fonctionnalité.
C'est l'absence de réalité, d'existence absolue.
La production en dépendance n'implique pas une réalité intrinsèque
Mais un monde semblable à une illusion.
Lorsqu'on comprend le sens de la vacuité et de la production dépendante,
Sur cette unique base, on est capable de poser simultanément,
Et sans contradiction, les idées d'apparence et de vacuité."
...à suivre...
Matthieu Ricard et Trinh Xuan Thuan
¹ Pour un développement détaillé sur la notion d'interdépendance et de causalité réciproque, voir Joanna Macy, Mutual Causality in Bueddhism and General Systems Theory, State University of New York Press, Albany, 1991.
² Fabrice Midal, Les Mythes et dieux tibétains, Le Seuil, 2000
³ Shantidéva, La Marche vers l'Eveil, op. cit., chap 9, p145-146
* Erwin Schrödinger, L'Esprit et la Matière, Le Seuil, 1980
** E.R. Harrison, Cosmology: The Science of the Universe, Cambridge University Press, New York, 1981, p2
*** Alan Wallace, Science et Bouddhisme, op.ccit., chapitres 14 et 15
# On peut rapprocher cela de Kant qui appelait "objective" l'existence conventionnelle et "en soi" l'existence autonome
proposé par mamadomi
rééd° du 18 07 12
Il y a bien + de 3 états de la matière
Solide, liquide et gaz. Ces 3 états de la matière ont été définis par les savants au XIXè s. comme les seuls existant, et témoignant d'une réalité microscopique: celle des liaisons moléculaires.
En effet, les molécules d'un solide sont liées de manière rigide;
celles d'un liquide se meuvent librement tout en restant en contact,
et celles d'un gaz évoluent indépendamment.
Mais à force de scruter la matière, les scientifiques sont parvenus à comptabiliser une myriade d'états, à commencer par le plasma en 1928: les molécules se scindent en noyaux et électrons indépendants et la matière devient une soupe de particules chargées. D'ailleurs, on sait aujourd'hui que
le plasma est l'état principal de la matière dans l'Univers
▲Identifié en 1928, le plasma (ici, dans un réacteur à fusion nucléaire) n'est que l'un des nombreux états de la matière. Le tokamak est une chambre de confinement magnétique destinée à contrôler un plasma nécessaire à la production d'énergie par fusion nucléaire. Ce terme vient du russe "toroidalnaja kamera magnetnaja katuska" (en français: chambre toroïdale à confinement magnétique). |
(celui des étoiles notamment). Mais qu'est-ce qui permet de dire que le plasma n'est pas un cas particulier de l'état gazeux? C'est que ses propriétés physiques (conductivité, pression, etc...) l'en distinguent radicalement. De fait, c'est ainsi que l'on définit le changement d'état d'une matière, ou "transition de phase":
une petite modification des conditions extérieures (température, pression) fait brutalement varier les propriétés physiques de cette matière.
Une définition qui a fait perdre leur suprématie aux 3 états classiques:
le verre (solide amorphe) et le cristal (solide cristallin)
sont ainsi 2 états de la silice.
Ont par ailleurs été ajoutés à la liste au cours du XXè s.:
les condensats de Bose-Einstein (un état tellement froid que les atomes perdent leur individualité),
les supraconducteurs, les quasicristaux,
les supersolides..., et la liste pourrait encore s'allonger.
R.I., Scie&vie n°115
Un verre d'eau plein est à 99,99% vide
Les molécules d'eau sont constituées de minuscules particules séparées par une grande quantité... de vide! En effet, le diamètre d'une molécule d'eau est de 0,3 milliardième de mètre. Or cette molécule est composée de
2 atomes d'hydrogène (soit 2 protons et 2 électrons),
et d'un atome d'oxygène (8 protons, 8 neutrons et 8 électrons).
La taille d'un électron est négligeable; quant aux protons et aux neutrons, leur diamètre est d'un millionnième de milliardième de mètre. Si on compare le volume qu'ils occupent par rapport à celui de la molécule, on constate qu'une molécule d'eau, et donc un verre quasi plein, est à 99,9999999999999999% vide! Pour autant, une fois plein, un verre ne peut plus accueillir de molécule supplémentaire. Il est donc bien rempli à ... 100%.
M.G., Scie&vie n°1115
La masse d'une montre augmente
quand on la remonte
D'après la formule de la relativité restreinte "E=mc²", énergie et matière ne sont qu'une seule et même chose. Or une montre que l'on remonte stocke dans la tension de son ressort une énergie de quelques dixièmes de joules. En inversant l'équation, sachant que la vitesse de la lumière, c, vaut 300 millions de mètres/seconde, on constate que sa masse augmente à cette occasion de quelques milliards de protons.
Certes, sur la balance, cette masse est indétectable: preuve que la relativité et ses bizarreries ne s'appliquent pas (ou peu) à la physique du quotidien. Mais le même phénomène a des conséquences spectaculaires en physique microscopique!
Ainsi, un proton est environ 100x plus lourd que la somme des masses des 3 quarks qui le constituent, la différence venant de l'énergie de liaison des quarks entre eux.
De même, un atome d'hydrogène, du fait de l'énergie de liaison entre son proton et son électron, est un peu + lourd que les 2 particules qui le forment.
M.G., Scie&vie n°1115
proposé par mamadomi
rééd° du 17 05 12
Fruit d’un récent séjour en Crète, le texte ci-dessous s’entend comme un hommage rendu à ces penseurs audacieux qui osèrent, il y a près de 3000 ans, avant même l’avènement de la démocratie athénienne, introduire auprès des peuples les fondements de l’idée démocratique.
L'aube de la démocratie
La Crète, désignée aussi comme “La grande île” par les Grecs du continent (elle est 5ème île de la Méditerranée par sa superficie, juste derrière la Corse), occupe une place centrale dans le bassin méditerranéen oriental. Peuplée dès le début du néolithique (8000 ans av. J.-C.), elle connaîtra une histoire tumultueuse. À partir de 2000 av. J.-C. se développe la brillante civilisation minoenne sans équivalent dans le monde. Cependant vers 1450 av. J.-C. un effondrement se produit dont la cause nous est inconnue (tremblement de terre catastrophique ou invasion extérieure… ?). L’île va alors subir de nombreuses dominations successives, à commencer par celle des Grecs du continent, Mycéniens et Doriens.
Puis viendront les Romains, les Byzantins qui introduisent le christianisme, les Arabes à partir de 824 ap. J.-C. En 961 Byzance s’empare à nouveau de l’île, mais c’est pour la revendre aux Vénitiens en 1204. En 1453 la chute de Constantinople signe le destin de l’île qui passe sous la domination ottomane jusqu’en 1913, date du rattachement avec la Grèce libérée du joug musulman.
L’époque contemporaine ne sera pas synonyme d’apaisement pour l’île, qui devra encore subir en 1941 l’invasion nazie. Au terme de la tragique “bataille de Crète”, au cours de laquelle les troupes britanniques appuyées par des partisans locaux, mèneront une résistance acharnée, l’île connaîtra 4 années d’occupation féroce.
Aujourd’hui, l’invasion anarchique du tourisme de masse est sans doute + pacifique, et apporte incontestablement une forme de prospérité, mais elle n’est pas sans poser de graves problèmes: disparition du mode de vie et des solidarités traditionnels, ravages écologiques, destruction des paysages que l’on prétend par ailleurs valoriser…
Mais l’épicentre de ce maelström se situe sans aucun doute au sud de la riche plaine de la Messara (haut du billet), au pied du mont Idra, où s’étendent les ruines de l’antique cité de Gortyne disséminées parmi des oliviers plusieurs fois centenaires. Dans ce lieu, les mythes des origines se mêlent inextricablement à l’histoire. C’est ici que selon la tradition, Zeus, sous la forme d’un taureau blanc, s’accoupla avec Europe, fille du roi de Tyr (Agénor), donnant ainsi naissance à Minos, le roi mythique fondateur de la civilisation qui porte son nom. C’est ici que Pasiphaé, épouse de Minos, tomba amoureuse d’un autre taureau, et engendra le Minotaure qui, enfermé dans le célèbre labyrinthe conçu par l’architecte Dédale, devait être occis par le prince Athénien Thésée aidé par Ariane, fille de Minos. Déméter, la grande déesse de la fécondité et de l’agriculture, qui enseigna aux hommes les techniques des semis et des labours, vint aussi à Gortyne pour s’unir dans les champs fertiles de la ville au héros Jason, donnant naissance à Ploutos, dieu de la richesse personnalisant le pouvoir de l’argent. C’est encore à Gortyne, devenue la capitale de la province romaine de Crète, que fut martyrisé l’évêque Tite, proche compagnon de St Paul, ce qui nous vaut de pouvoir aujourd’hui admirer la magnifique basilique Agios Titos.
C’est dans ce lieu surchargé de symboles qu’en 1884 deux archéologues italiens, Federico Halbherr et Ernst Fabricius, devaient faire une étonnante découverte. En effet ils mettent à jour une portion de mur comportant une inscription en langue dorienne qu’ils reconnaissent être le “Code de lois de Gortyne” auquel Platon et Aristote faisaient abondamment allusion, mais qui n’avait pu être mis à jour jusque-là. Très vite les 2 hommes se rendent compte que les pierres manquantes se trouvent disséminées dans les champs alentour, certaines ayant même été utilisées pour la construction d’un moulin. Il leur faudra 5 ans pour reconstituer la totalité du texte que l’on peut aujourd’hui contempler in situ. Il se compose de 12 colonnes de 52 lignes chacune soit 17.000 caractères. Il est rédigé selon le système dit “boustrophédon” càd qu’il se lit alternativement de gauche à droite, puis de droite à gauche, tout comme le paysan laboure son champ et il devait, à l’origine, être disposé dans le prytanée, édifice situé tout près de l’Agora et dédié aux débats publics, afin que chacun puisse en prendre connaissance. La question de sa datation a donné lieu à de multiples estimations car le code comporte des points archaïques, mais aussi des dispositions qu’on peut qualifier de “révolutionnaires” allant bien au-delà de tout ce qu’a pu concevoir la démocratie athénienne. On estime aujourd’hui qu’il fut gravé (par une seule et même personne) à la fin du VIIè s. av. J.-C. ou au début du VIè, càd que le code est contemporain du fameux législateur grec Solon.
Le Code de Gortyne est considéré comme la + ancienne législation écrite d’Europe. Il est résolument progressiste et fait preuve d’un grand esprit de liberté. D’une manière générale, ces lois reflètent l’introduction d’un droit véritable reposant sur la recherche d’une vérité objective à l’aide de preuves et de témoignages sous serment, l’interdiction de se faire justice soi-même, et l’on peut considérer qu’il s’agit des premiers pas vers une égalité de tous face au juge. Par ailleurs, la loi de Gortyne ne prescrit aucun châtiment cruel ou dégradant, et la peine de mort est rarissime. Les condamnations consistent le + souvent en privation de liberté totale ou partielle, en bannissements, et en amendes, parfois très lourdes, qui obligent le coupable à travailler une large partie de sa vie pour le compte de la victime et de sa famille. Visiblement, conciliation et réparation sont privilégiées. De +, on peut voir dans le système judiciaire de Gortyne la 1ère apparition de la notion de jurisprudence puisque les juges sont tenus de se référer aux délibérations antérieures. Pourtant le Code de Gortyne n’aborde pas, loin de là, tous les aspects de la vie publique et privée, il se concentre sur certains points bien précis: le statut des esclaves, les crimes, notamment sexuels, le divorce et le veuvage, les héritages, l’adoption… Peut-être existe-il d’autres codes, encore inconnus puisque la majeure partie de la cité n’a pas encore été fouillée à ce jour.
Bien évidemment, il ne saurait être question d’analyser ici en détail l’ensemble de ces dispositions, concentrons-nous sur 2 points importants et particulièrement significatifs: le statut des esclaves et la condition féminine. On peut dire qu’à Gortyne l’esclave est beaucoup moins esclave qu’ailleurs. Pour la 1ère fois dans l’histoire connue de l’humanité, il n’est plus considéré comme un objet que le maître peut traiter selon son bon plaisir. L’esclave possède ici des droits et sa personne est protégée:
Le meurtre, le viol, la maltraitance d’un esclave sont condamnés par la loi et ce dernier a la possibilité de porter plainte et de témoigner sous serment devant un tribunal. On remarquera cependant que le viol d’un esclave est moins sévèrement condamné que celui d’un citoyen libre.
• Un esclave a la possibilité de se marier ou de divorcer à sa guise.
• Un esclave peut disposer de biens propres, et les transmettre à ses enfants.
Immédiatement vient à l’esprit la comparaison avec les conditions de vie atroces réservées, il y a moins de 200 ans, aux esclaves noirs du sud des États-Unis d’Amérique.
De même, les femmes disposent à Gortyne de droits qui, de nos jours, ne leur sont pas octroyés sur l’ensemble de la planète. La femme peut se marier et divorcer à sa guise. Chacun des époux administre ses biens personnels librement et, en cas de divorce, la femme récupère la totalité de son patrimoine. La femme peut aussi apparaître seule devant un tribunal pour défendre ses droits. Cela contraste fortement avec l’Athénienne qui n’avait pas de fortune personnelle, et avait toujours besoin d’un protecteur et d’un représentant dans la cité.
On est alors légitimement en droit de s’étonner du surgissement, semble-t-il spontané, de la notion de droit visant à réguler la vie de la cité, s’efforçant de garantir pour chacun l’accès à la justice. Le ou les législateurs de Gortyne ont-ils pu se fonder sur une pensée philosophique ou/et un droit coutumier peut-être non écrit, préexistants? Certains archéologues n’hésitent pas à relier le code de Gortyne à la civilisation minoenne qui présente des aspects novateurs en total décalage avec son époque.
La religion, tout d’abord. Ici pas de caste de prêtres tout puissants, pas de temples grandioses comme en Egypte à la même période, mais une religion que l’on peut qualifier de “naturelle”, fondée sur le “cycle de la végétation”, qui meurt et renaît. Le retour, chaque année, des fleurs et des fruits, remplissait les minoens d’une joie inexprimable personnifiée par une déesse tenant un enfant dans ses bras ou s’accouplant avec un jeune Dieu, réalisant ainsi la fertilisation de la terre. Les cérémonies de culte se déroulent alors dans des lieux naturels, grottes, sommets de montagnes, sous de grands arbres sacrés, ou autour de petits autels domestiques. Les puissants dieux mâles de l’Olympe (Zeus, Poséidon, Apollon…) semblent totalement étrangers au petit panthéon minoen dominé par les divinités féminines.
Cette proximité avec les forces naturelles se retrouve dans les représentations artistiques. Les scènes guerrières sont absentes de l’art minoen qui, avec un grand raffinement, présente des scènes religieuses, des sortes de compétitions sportives (ainsi le fameux “saut par-dessus un taureau”), des études extrêmement minutieuses de plantes et d’animaux, des motifs géométriques… Les femmes sont aussi représentées avec une grande liberté de postures, d’habillement, de maquillage, au point que l’on a pu surnommer l’une d’elles “La parisienne”.
Mais le + étonnant est sans conteste le fait que les villes minoennes, ainsi que les palais des rois, semblent dépourvus de toute fortification et ouvrage défensif. Ceci est proprement unique dans l’histoire humaine et implique l’absence d’ennemis extérieurs ou intérieurs. Que l’on songe simplement aux énormes dispositifs sécuritaires dont s’entoure le moindre de nos dirigeants, alors que les palais minoens étaient insérés sans barrières dans les villes…
Nous avons ainsi l’image d’une société apaisée, qui suppose des règles et des lois acceptées par tous et un minimum de bien-être général. À l’apogée de leur rayonnement, vers 1500/1600 av J.-C., les minoens fondent des établissement, pacifiquement semble-t-il, sur l’ensemble de la mer Égée, et commercent à grande échelle avec l’Égypte, dont les pharaons appréciaient particulièrement la vaisselle crétoise en faïence et pâte de verre. On a parlé pour cette période de véritable “Pax Minoen”…
Le souvenir de l’action civilisatrice des minoens survivait dans la Grèce Classique. Dans l’île de Délos, on vénérait un sanctuaire dédié aux “nymphes minoennes” et plusieurs villes portaient le nom de Minoa… Il n’est donc nullement impossible que la civilisation minoenne ait pu inspirer les législateurs de Gortyne.
Ceci n’est qu’une hypothèse, et un minimum de rigueur nous oblige à modérer un peu notre enthousiasme, car notre connaissance de la société minoenne demeure lacunaire. En effet, une partie de l’écriture (linéaire A) n’a pu être déchiffrée à ce jour, et un énorme travail de fouilles reste encore à accomplir.
Le voyageur qui s’arrête aujourd’hui à Gortyne, qui contemple le mur de l’inscription et effleure du bout des doigts la pierre blonde, ne peut s’empêcher de ressentir une intense émotion. Un grand respect, tout d’abord, pour ceux qui surent s’opposer à la force brutale en mettant le droit au centre de la vie de la cité. Par ce saut conceptuel considérable, ils fondèrent rien moins qu’une civilisation. Mais on peut aussi voir le code de Gortyne comme un message adressé, par-delà les millénaires, à notre monde contemporain en plein désarroi. Nous sommes confrontés à des problèmes philosophiques et moraux d’une même ampleur:
nous avons un vieux monde à laisser derrière nous
et une civilisation nouvelle à bâtir.
En serons-nous capables? En aurons-nous la volonté?
Parviendrons-nous à poursuivre le rêve de Gortyne?
"Si vous laissez la société grecque, irlandaise, portugaise, espagnole être détruite sur l’autel de la dette et des banques, très vite viendra votre tour. (...) Révoltez-vous!". Mikis Theodorakis |
mars 2012
proposé par mamadomi
rééd° du 17 08 12
L'invention du symbolique
S'il fallait résumer d'un mot ce qui fait le propre de la pensée française vivante du XXes., on devrait dire, à coup sûr, qu'elle a été, qu'elle est encore une pensée du symbolique. Qu'on pense simplement à l'analyse par Claude Lévi-Strauss > de la "fonction symbolique" ou à l'opposition établie par Jacques Lacan > entre le réel, l'imaginaire et le symbolique.
Or, montre ici de façon lumineuse Camille Tarot, c'est dans le creuset de l'école sociologique française que l'acception moderne du terme a été forgée, et c'est grâce à la lente et subtile évolution que Marcel Mauss a fait subir aux 'durkheimiennes' analyses du sacré, de la religion et des représentations collectives, qu'il en est venu à prendre toute sa portée. C'est l'histoire passionnante de cette invention du concept de symbolique que nous livre le présent ouvrage, dans un style à la fois limpide et époustouflant. Au-delà d'une reconstitution sans précédent de la pensée des deux + grands représentants de l'école, < Durkheim et Mauss >, elle nous offre, en prime, une histoire de l'ethnologie, des sciences du langage et des sciences de la religion jusqu'au 1er tiers du XXe siècle. Ainsi des liens intelligibles sont-ils à nouveau établis entre la pensée française des 50 dernières années et ce qui l'a précédé. Et, peu à peu, on se prend à rêver d'une reprise du dialogue entre philosophes, ethnologues, psychanalystes, sociologues, spécialistes de la littérature ou de la religion, qui trouveront tous ici également matière à nourrir leurs réflexions. Car ce que < Camille Tarot nous restitue comme s'il y était, comme si nous y étions, c'est l'exceptionnel travail collectif de la pensée accompli au jour le jour par et autour de Durkheim et Mauss. Avec modestie et avec ambition. Avec rigueur mais avec passion. Un livre capital pour la compréhension de l'histoire des idées. Danièle Hervieu-Léger |
Igor Morski
un peu "lourd"? c'est pas votre kif? Essayez The Fifty Shades of Grey... rien à voir... ou plutôt si, justement...
proposé par mamadomi
rééd° du 08 10 12