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L'évangile de Marie
commentaire
1 "L'attachement à la matière
2 engendre une passion contre nature.
3 Le trouble naît alors dans tout le corps;
4 c'est pourquoi je vous dis:
5 "Soyez en harmonie..."
6 Si vous êtes déréglés,
7 inspirez-vous des représentations
8 de votre vraie nature.
9 Que celui qui a des oreilles
10 pour entendre entende." (page 8)
A côté de l'ignorance, qui serait maladie du coeur et de l'intelligence,
il y a l'attachement, qui est maladie du désir, son arrêt ou son engourdissement, une fixation pathologique sur un objet dans la possession duquel
le désir pense trouver son assouvissement ou son repos.
L'Enseigneur parle ici d'
attachement à la matière. Si par matière, on entend bien tout ce qui est composé et qui sera un jour décomposé, il ne s'agit pas alors seulement de nos mottes de terre, de nos propriétés à la campagne, de nos coffres à bijoux ou de nos comptes en banque, cela peut être aussi une personne, ou des personnes, une société ou une patrie, dès que nous en faisons un "objet" qui nous appartient. C'est en ce sens, par ex, que Yeshoua, dans d'autres Evangiles, nous demande de ne pas regarder une femme avec convoitise, car ce n'est plus regarder une femme, mais un objet de plaisir ou de jouissance possible, en passant à côté du Sujet qu'elle est, et de la relation qui pourrait s'établir avec elle; relation oui, infiniment + riche que celle d'une possession.
Nos idéologies, nos croyances sont également composées d'images, de concepts, et nous pouvons y être encore + attachés qu'aux personnes que nous désirons et qu'aux objets que nous possédons; cela aussi aliène notre liberté, nous rend dépendants et engendre cette "passion contre nature" qu'observe l'Enseigneur.
Il n'est jamais dit que la matière, les personnes et les objets sont nuisibles ou mauvais en soi. C'est notre attachement, notre passion (il s'agit bien, en grec, du mot pathé, qui va donner en français "pathos", "pathologie"), qui est "contre nature".
Pour l'Enseigneur, il ne semble pas naturel de s'attacher ainsi à ce que, par notre connaissance, nous savons être passager et transitoire: il est naturel d'aimer les êtres et les choses pour ce qu'ils sont: "un peu de rosée au bord d'un seau", disait le prophète Isaïe, ce peu de rosée suffit à refléter le soleil levant et à nous en réjouir, mais s'y attacher, vouloir faire durer ce qui par nature n'est pas fait pour durer relève, sinon de la démence, du moins de la + élémentaire stupidité...
"Le trouble naît alors dans tout le corps"; le corps le sait bien, avant même que nous ayons pris la peine d'y réfléchir: ses trésors, ses très chers trésors ne vont pas tarder à lui être enlevés.
Quand un médecin dit à un mourant qu'il va bientôt guérir, "le corps est dans le trouble"; il y a là un double message, qui peut engendrer + de folie (schizophrénie) et de souffrance que d'apaisement: le corps sait très bien ce qu'il en est de son devenir, et peut-être est-il en droit d'attendre d'autres paroles, qui ne s'adressent pas seulement à ce qui en lui, de par sa nature composée, est destiné, qu'on le veuille ou non, à la décomposition...
L'Enseigneur ne prêche aucune croyances. Il rappelle des évidences, dures et belles à entendre; l'attachement, la passion sont contre nature et ajoutent le trouble de l'âme aux troubles du corps. Il s'agit pour Lui de nous sortir de cet état et de nous faire revenir à notre vraie nature. Comme le diront certains Pères de l'Eglise:
"La conversion, c'est le retour de ce qui est contraire à la nature vers ce qui lui est propre"
saint Jean Damascène
Regarder une chose, un paysage, une personne, avec amour, sans attachement, sans volonté d'appropriation, c'est mieux les voir, c'est voir clair, c'est regarder clairement ce qui est, sans "vouloir l'avoir", et dans ce "laisser être ce qui est", l'apparition du Don peut se révéler à nous. Tout nous est donné, rien ne nous est dû. Nous ne sommes pas faits pour posséder, nous sommes faits pour "être avec", ce qui n'est pas sans impliquer le sens de notre responsabilité qui se développe généralement en deçà de notre sens de la propriété.
Penser posséder un objet, une personne, notre propre corps, notre propre pensée et notre propre vie est, nous le savons, une illusion, et cette illusion est cause de trouble, d'insécurité fondamentale, qui mine nos + grandes richesses, nos + tendres amours, nos + hautes pensées et nos + religieuses vénérations...
"C'est pourquoi je vous dis:
Soyez en harmonie..."
L'attachement, c'est ce qui nous empêche d'être en harmonie avec tout ce qui est, il établit un rapport de puissance et de dépendance qui est le contraire d'une véritable relation.
Être en harmonie, c'est être en relation consciente et aimante avec ce qui est, sans vouloir ni désir particuliers, qui introduiraient une fixation sur une partie de cette totalité fluide qui nous entoure. L'harmonie suppose un rapport "musical" au monde, une mise en résonance, un accord.
S'accorder au monde est un lent travail d'ajustement qui suppose une qualité d'Ecoute, une attention de tout l'être qui n'est pas banale.
Est-ce à nous de nous accorder aux autres et au monde, ou est-ce aux autres et au monde de s'accorder à nous (ce que nous ne manquons pas d'exiger la plupart du temps)?
L'Enseigneur semble nous dire que c'est à nous de nous accorder avec l'environnement tel qu'il nous est donné, de nous accorder même avec notre adversaire avant qu'il ne soit trop tard:
"Quand tu vas présenter ton offrande à l'autel,
si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
laisse là ton offrande, devant l'autel,
et va d'abord te réconcilier avec ton frère;
viens alors présenter ton offrande.
Mets-toi vite d'accord avec ton adversaire,
tant que tu es encore en chemin avec lui." (Mt 5, 23-25).
Il ira même + loin en demandant à Ses disciples d'aimer leurs ennemis, de "s'harmoniser" avec eux afin de "devenir parfait comme le Père est parfait" ou "miséricordieux comme le Père est miséricordieux*".
Comment s'harmoniser avec l'ennemi?
C'est aussi se poser la question:
- comment s'harmoniser avec ce qui nous veut du mal, tente de nous détruire ou de nous rendre malades?
Il ne s'agit pas évidemment de céder à l'ennemi, de se laisser faire. Il s'agit bien de l'affronter, dans toute sa violence, mais de ne pas en rajouter ni provoquer de nouveau cette violence. La prendre en soi pour la laisser passer, n'est-ce pas là un art martial, qui parle de s'harmoniser avec l'adversaire", d'éveiller en lui une conscience qui lui permettra de sortir du trouble dans lequel il se trouve sans que nous en soyons contaminés?
"Œil pour œil, dent pour dent", ce n'est pas encore une loi d'harmonie. La lâcheté non plus, ni la fuite, elles laissent le champ libre à la violence.
"Si on te frappe sur une joue,
tends l'autre joue."
Il est bien précisé de ne pas tendre la même joue, cela ne serait que masochisme ou complaisance morbide dans la souffrance, il s'agit de tendre une autre joue, ce qui constitue une autre manière d'aborder le problème: opposer la conscience à la violence, regarder l'autre en face, le traiter en Sujet dont on refuse de se faire l'objet docile. Il s'agit d'harmoniser des sujets, des libertés, et cela ne va pas sans conflits, sans frictions... Mais est-ce toujours possible?
Les hommes ne s'accordent pas aussi facilement entre eux que les violons, c'est sans doute, comme le rappelle l'Enseigneur, que leurs corps et leurs cordes sont "déréglés".
Avant de vouloir s'harmoniser au monde et aux autres, sans doute faut-il être d'abord en harmonie avec soi-même.
Un instrument déréglé, comment pourrait-il s'harmoniser avec un autre instrument, lui-même en ± bon état?
Prendre soin de son instrument, harmoniser en nous la tête, le corps et le coeur, c'est la première condition pour que l'harmonie soit possible; s'il n'y a pas de paix à l'intérieur des hommes comment y en aurait-il à l'extérieur?
Si les différents quartiers qui composent notre Jérusalem intérieure ne sont pas réunifiés, comment la Jérusalem extérieure pourrait-elle l'être? Dans chacun de ses quartiers, il y a un lieu de culte qui a revendiqué ou revendique la primauté sur l'ensemble de la ville. Dans l'homme, c'est parfois l'instinct, l'affectivité ou la raison qui devient un objet de culte et qui veut imposer sa domination sur tout le composé humain, ce composé qui est fait pour une harmonie, où chacun de ses membres n'est vraiment lui-même que dans le service des autres.
L'harmonie peut advenir lorsque les contraires se découvrent tout à coup complémentaires, les discordances elles-mêmes sont à intégrer dans une + haute partition où l'oeuvre de chacun, enfin reconnue, collabore au bien-être du Tout...
Si vos instruments sont déréglés, si vos humanités sont discordantes, si vous êtes dans la disharmonie - pour ne pas dire dans le mépis, la haine ou la peur,
"inspirez-vous
des représentations de votre vraie nature".
Certains traduiront des "Images" de votre vraie nature.
Si vous êtes déréglés, au lieu de vous complaire dans vos dérèglements -ou pire de les justifier: "Au pays des aveugles les borgnes sont rois"-, inspirez-vous des représentations de l'Humain dans sa plénitude, dans sa paix possible, dans son harmonie incarnée...
Il s'agit ici, bien sûr, de s'inspirer de cette manifestation du Divin dans l'humain que l'Enseigneur Lui-même incarne, comme le dit Paul de Tarse: "Il est l'Image du Dieu invisible." (Col 1,5)
Il est Son icône. Regarder cette icône, "cette fenêtre sur l'invisible", c'est voir de quoi l'Être est capable, c'est voir de quoi l'homme est capable, c'est voir à quelle incarnation de l'Amour nous sommes appelés; comme le dit l'évangéliste Jean: "Si Yeshoua n'était pas venu, il n'y aurait pas de péché": si nous n'avions pas vu un humain véritable, nous ne saurions pas que nous ne sommes pas encore des humains; si nous n'avions pas vu un humain en bonne santé, nous ne saurions pas que nous sommes malades; si nous n'avions pas que nous sommes malades; si nous n'avions pas vu un humain "bien dans son axe", au désir bien orienté, nous ne connaîtrons pas nos disharmonies, les "désorientations" et les dérèglements de nos désirs.
"Si vous êtes déréglés,
inspirez-vous des représentations
de votre vraie nature."
C'est d'ailleurs un exercice qui est proposé dans toutes les grandes traditions de l'humanité à quelqu'un qui veut s'engager sur une voie spirituelle: la fréquentation des sages et des saints, ou des lieux, où leur mémoire est présente; s'inspirer du comportement, de l'attitude de ceux qui incarnent notre vraie nature, qui manifestent ce que l'homme a de + humain et de + divin, ceux dont la vérité, la bonté, la beauté font signe au Dieu oublié qui nous habite...
Et, de nouveau, ce signe tracé dans les gestes lents ou furtifs d'une parole ou d'un regard est donné à ceux qui écoutent, qui demeurent dans l'Attention:
"Que celui qui a des oreilles
pour entendre entende."
Evangile copte du IIè s.
traduit et commenté par
J.-Y. Leloup
*Lc 6, 27-28 et 32-36. Là où Matthieu parle de perfection, Luc parle de miséricorde. Qu'a dit Yeshoua? Ni l'un ni l'autre, sans doute, ou les deux à la fois! Qu'est ce que la perfection sans la miséricorde et vice versa?
...à suivre
proposé par mamadomi