Ne pas surseoir à la vision du Soi sur soi...
Le regard que l'on porte sur soi, cette évaluation, fondée ou non, que l'on fait de ses qualités et de ses défauts, est le 2ème pilier de l'estime de soi (voir trilogie de l'estime de soi). Il ne s'agit pas seulement de connaissance de soi; l'important n'est pas la réalité des choses, mais la conviction que l'on a d'être porteur de qualités ou de défauts, de potentialités ou de l'imitations. En ce sens, c'est un phénomène où la subjectivité tient le beau rôle; son observation est difficile, et sa compréhension, délicate. C'est pourquoi, par ex, une personne complexée -dont l'estime de soi est souvent basse - laissera souvent perplexe un entourage qui ne perçoit pas ses défauts dont elle se croit atteinte.
"Visiblement, déclare cette mère à propos de sa fille aînée, nous ne la voyons pas avec les mêmes yeux qu'elle. Elle n'arrête pas de nous dire qu'elle se trouve moche. J'ai pourtant l'impression d'avoir une fille de 16 ans jolie et intelligente, et c'est comme ça que nous amis la voient aussi. Lorsque nous essayons d'en discuter avec elle, c'est comme si nous ne parlions pas la même langue."
Positive, la vision de soi est une force intérieure qui nous permet d'attendre notre heure malgré l'adversité. Ne fallut-il pas ainsi au général de Gaulle une estime de soi très robuste pour lancer, depuis Londres, l'appel du 18 juin 1940 alors que la France s'était totalement effondrée face à l'envahisseur? La vision de son destin personnel se superposait ici avec bonheur à celle qu'il avait d'une "certaine idée de la France"... Si, au contraire, nous avons une estime de soi déficiente, une vision de soi trop limitée ou timorée nous fera perdre du temps avant que nous ne trouvions notre "voie". C'est ce qui est arrivé à Marianne:
"Quand je pense, raconte cette styliste de 45ans, que j'ai perdu 2 ou 3 années à tenter de faire médecine ou pharmacie, alors que j'avais horreur de ça! Simplement parce que mon père me l'avait conseillé fortement! A l'époque, je savais que ça ne me plaisait pas et que les études d'art m'attiraient beaucoup +. Mais je n'étais pas assez sûre de mes capacités à réussir dans ces métiers. J'avais peur d'y tenter ma chance."
Ce regard que nous portons sur nous-même, nous le devons à notre environnement familial et, en particulier, aux projets que nos parents formaient pour nous. Dans certains cas, l'enfant est chargé inconsciemment par ses parents d'accomplir ce qu'ils n'ont pas pu ou pas su réaliser dans leur vie. C'est ce qu'on appelle "l'enfant chargé de mission". Une mère ayant souffert du manque d'argent incitera ses filles à ne fréquenter que des jeunes garçons de familles aisées. Un père ayant raté ses études poussera son fils à intégrer une grande école. De tels projets sont légitimes, mais à la condition que la pression sur l'enfant ne soit pas trop forte et tienne compte de ses désirs et de ses capacités propres. Faute de quoi, la tâche sera impossible pour l'enfant, qui sera victime de son incapacité à réaliser la grande vision que ses parents caressaient pour lui.
Le fait de ne pas prendre en compte les doutes et les inquiétudes d'un enfant peut ainsi engendrer chez lui, ultérieurement, une profonde vulnérabilité de l'estime de soi. Ecoutons j-Baptiste, un étudiant de 21ans:
"J'ai toujours eu peur de décevoir mes parents. Mon père n'a pas fait d'études supérieures, pour des raisons que je n'ai jamais bien comprises, alors que ses frères et soeurs ont tous eu de bons diplômes. Mais, du coup, il a toujours voulu que je sois supérieur en tout. Être le 1er à l'école, en sport, jouer du piano, il m'a toujours traité comme si mes capacités étaient illimitées. Pendant longtemps, ça m'a soutenu et stimulé, je me souviens d'avoir été un enfant brillant, qu'on admirait. Et sentir que cela faisait plaisir à mon père me plaisait aussi. Mais cela me rendait très anxieux, et inquiet d'échouer. Et aujourd'hui encore, je suis hanté par la crainte de décevoir mon père. A force de sentir qu'il croyait en moi, je me suis moi aussi convaincu que j'étais digne de ce qu'il y a de mieux. Je suis dans une grande école, je ne drague que les jolies filles de bonne famille, je pense que j'aurai une position sociale élevée... Mais cette vision de ce que je mérite ne m'empêche pas de beaucoup craindre l'échec: je suis hypersusceptible et, si je n'arrive pas à ce que je veux, j'en suis malade. Au fond, je suis reconnaissant à mon père de m'avoir donné cette conviction que je méritais le meilleur et que j'étais capable de l'atteindre. Mais il me manque encore une force intérieure, un calme pour résister à l'adversité. Je n'ai pas encore la certitude que je suis à la hauteur de tous ces projets qu'il a eus pour moi. Est-ce que ça me viendra avec l'âge?"
Dans d'autres cas, une vision de soi limitée poussera le sujet à la dépendance vis-à-vis d'autrui: on peut établir des relations satisfaisantes avec les autres, mais on se limite au rôle de suiveur, on ne passe que sur des voies déjà explorées par d'autres. On a du mal à construire et à mener à bien des projets personnels.
"Mes parents, raconte Pierre, 50ans, m'ont aimé et donné toute l'affection dont j'avais besoin. Mais ils ont dû rater quelque chose quelque part. Je n'ai jamais osé être moi-même. J'ai l'impression d'avoir passé ma vie à suivre les autres. A attendre qu'on me fasse signe et qu'on me dise:
"La voie est libre, il n'y a pas de problèmes, tu peux venir".
Par ex, j'ai fait les mêmes études que mon meilleur copain de lycée.
A la fac, je sortais souvent avec les filles avec qui il venait de rompre. S'il avait divorcé, j'aurais été capable d'épouser sa femme... A propos de la fac, je pense, avec le recul, que j'aurais pu faire des études d'ingénieur, si j'avais osé. Mais j'ai préféré un DUT de techniques commerciales, non par goût, mais par peur de l'échec. Dans mon métier, c'est un peu pareil; mes supérieurs me reprochent de manquer d'ambition, de ne pas avoir de vision à long terme, malgré mes qualités. Quand j'y pense, d'ailleurs, c'est ce qui est arrivé à mes parents: mon père a ramé toute sa vie dans un boulot inintéressant, ma mère a sacrifié une carrière d'institutrice qui lui aurait plu pour rester au foyer et s'occuper de mes frères et moi."
à suivre...
Christophe André et François Lelord
proposé par mamadomi
rééd° du 11 03 12