Médecin psychiatre et psychothérapeute, le Dr Christophe Massin travaille sur les premiers instants de la vie, de la conception au sevrage. L'une des pratiques qu'il utilise, le lying, est inspirée par l'enseignement de Denise Desjardins et de son maître, Swami Prajnandpad.
"Chaque fois que nous n'osons pas être nous-mêmes, écrit-il, nous soufffons et c'est, je crois, la souffrance fondamentale qui nous accompagne notre vie durant."
C'est d'abord en côtoyant des adultes, en les regardant agir, que je me suis rendu compte de la manière cruelle dont on a pu traiter les bébés, en particulier dans les hôpitaux. Non par méchanceté, mais par méconnaissance totale de leur ressenti. Mes cheveux se sont dressés sur ma tête lorsque j'ai découvert que, jusqu'en 1990, on n'anesthésiait pas ou peu les nourrissons pendant les interventions chirurgicales! De la même manière, on leur infligeait des soins extrêmement douloureux, comme la pose d'un cathéter ou une intubation, avec les meilleures intentions du monde, mais sans prendre en compte leur souffrance.
Un autre type de méconnaissance grave m'a souvent révolté, ce qu'il voyait, ne voyait pas, ce qu'il ressentait, ne ressentait pas, ce dont il avait besoin, etc... Ces oukases, les mères ont dû s'y plier pour s'occuper de leur enfant, sous peine d'être traitées de mauvaises mères. Les mères comme les bébés en ont souffert et en souffrent encore.
Evidemment, la médecine n'est pas seule à maltraiter l'enfant ou le bébé: les parents eux-mêmes le font parfois, lorsqu'ils portent beaucoup de souffrance ou répètent inconsciemment leur propre vécu d'enfant. Depuis longtemps, je me sens concerné par ces souffrances infantiles.
Des comportements moins graves m'agacent seulement: une attitude un peu bêtifiante et attendrie amène à considérer le bébé comme une petite chose, du haute de la supériorité de l'adulte. Ou bien on veut en faire un prodige, en lui serinant des leçons dès la gestation dans le ventre de la mère, ou on le pose en être omniscient, pouvant comprendre comlètement ses parents. Danger plus récent, il devient, technologie médicale et génétique à l'appui, un objet destiné à satisfaire l'attente exigeante de ses parents. (...)Lorsqu'on fait état d'une mémoire de la vie foetale, beaucoup n'y voient qu'affabulation et fantasme et rétorquent que l'on ne peut rien prouver. Rien n'est démontrable en effet, mais j'ai moi-même ressenti ces états du bébé avec une intensité qui a emporté ma conviction. Ces réminiscences ne font pas appel à la mémoire verbale. Il s'agit d'une mémoire du corps, émotionnelle. Au début, le corps parle de manière forte, sans que l'on comprenne vraiment très bien ce qui se passe. On chemine dans le noir. Peu à peu les éléments s'éclairent et on finit par avoir une vision qui s'impose d'un événement passé.
Autant que le permettent une connaissance subjective et l'état des expériences en thérapie, on peut essayer de comprendre le parcours du foetus au nourrisson.
Chez le foetus, une conscience existe très tôt, nue et solitaire. Un peu comme un point lumineux dans la nuit, une étoile dans le ciel. Une conscience qui se sait là, sans connotation particulière, simplement neutre. D'où vient cette source de lumière? Je n'en sais rien.
Cette conscience, peu à peu, s'intensifie mais ne se manifeste pas en permanence, car le foetus, on le sait, dort. C'est une présence qui prend le goût du bien-être, d'une lumière douce, dans une atmosphère feutrée et calme. Dans les thérapies, cet état foetal de bien-être revient souvent par comparaison à des états postérieurs moins agréables. Le "nirvana" foetal est proche de certains états de méditation, d'intériorisation. Lorsqu'on le revit, on expérimente quelque chose d'infiniment recueilli, de merveilleusement silencieux.
En revanche, certaines grossesses se déroulent mal, lorsque la mère ne désire pas l'enfant et veut avorter, ou lorsqu'elle est malade, déprimée ou en conflit avec son conjoint... Bien des perturbations émotionnelles vécues par des adultes et qu'ils ne peuvent pas s'expliquer remontent à cette époque foetale.
Le foetus ressent beaucoup de choses. Aujourd'hui il est davantage pris en compte sur le plan médical: on parle de foetologie et on commence à anesthésier le foetus lors de certaines interventions in utero.
Alors, comment exprimer une forme de tendresse envers le foetus afin d'oeuvrer pour son équilibre psychologique plus tard?
Comme parents, c'est d'abord se donner les moyens de vivre centrés sur lui. On a parlé de la mauvaise place faite à la mort dans notre société, mais celle du foetus, à l'autre bout de la vie, n'est pas tellement meilleure. En effet, l'image de la femme enceinte n'est pas valorisée, du point de vue de son corps, de sa place dans le travail, dans les transports... Car notre société accapare la femme enceinte. Vivre autour de son bébé n'est pas évident lorsque l'on travaille ou que l'on s'occupe d'autres enfants. Etre tendre envers le foetus, c'est déjà se donner le temps de prendre conscience que la grossesse est là et d'organiser sa vie en fonction et autour de la grossesse.
Le deuxième aspect est celui des poupées russes: le bébé à l'intérieur de la mère, la mère par rapport à son compagnon, puis la famille qui les entoure, l'équipe médicale qui suit la grossesse, et la société qui les environne. Pour que le bébé se sente bien, il est nécessaire que toutes les enveloppes jouent leur rôle. Donc il faut que tout concoure à ce que la mère, la première enveloppe, puisse communiquer à son enfant l'amour, la sérénité, la tranquillité dont il a besoin pour son développement.
On parle beaucoup de fusion avec la mère, mais ce concept ne me satisfait pas. D'après mes observations en thérapie, le foetus n'est pas préoccupé de l'existence de l'autre. Il perçoit la présence de sa mère qui l'enveloppe, mais son attention est tournée vers lui-même. Il ne prendra plus nettement conscience de l'existence de sa mère qu'en fonction des sollicitations ou des perturbations qu''elle lui apporte. "Ma mère et moi, on était comme les deux jambes d'un pantalon, reliées mais distinctes." La notion de fusion est donc erronée. Le bébé est déjà quelqu'un, et à ce titre, distinct de sa mère.
Beaucoup de choses s'expriment par l'utérus. (...) L'attitude profonde d'une femme envers sa maternité se perçoit dans sa manière d'"habiter" son ventre. Donc la tendresse de la mère va beaucoup se manifester à travers l'utérus. L'utérus est beaucoup plus qu'un muscle, car il transmet des impressions affectives. Une femme ainsi sensibilisée devient d'autant plus consciente de ce qui se pase dans son ventre, de la façon dont son utérus accueille le bébé comme une niche confortable. Quand des patients en thérapie me disent qu'ils se sentent flotter dans le vide et dans le froid, je pense que l'utérus de leur mère n'était pas habité par sa conscience. C'est un point crucial dans la relation de tendresse entre la mère et son bébé. Mais le père peut aussi participer au déploiement de la conscience de son bébé dans l'utérus.
Il ne faut pas pour autant trop diriger les contacts entre parents et foetus. Ils ont seulement besoin d'être encouragés. Parfois les parents ont une peur ou un blocage, mais, pour le dépasser, il importe qu'ils soient respectés dans leur sensibilité particulière. Dernier point sur lequel il faut insister: les situations de crise. Quelquefois la femme enceinte vit des expériences difficiles. Elle se sent anxieuse ou coupable et n'ose pas s'exprimer. Alors elle intériorise les problèmes mais, bien souvent, ses inquiétudes et ses tristesses inexplicables font leurs ravages silencieusement. La tendresse, c'est aussi entendre la femme enceinte, pas seulement se contenter de lui dire quelques bonnes paroles, mais l'écouter longuement, posément, et dialoguer avec elle. Je lance ce message aux femmes enceintes: Oser parler! Ne restez pas en souffrance!
Christophe Massin
proposé par mamadomi