Théodore Monod: Il est indéniable que l'espèce humaine fait quelques progrès dans le domaine de l'éthique. Tout du moins dans les intentions. Sans être particulièrement pessimiste, on peut se demander si ces progrès ne sont pas trop lents et s'il n'est pas déjà trop tard.
J.-Philippe de Tonnac: Parce que les risques que nous courons s'additionnent + vite que les mesures que nous prenons pour protéger la vie?
TM: Parce que la destruction de la nature rapporte de l'argent. L'Etat est un monstre cruel qui ne voit chaque fois que son inérêt. Et lorsque certains hommes politiques affirment que la morale s'arrête au seuil de la raison d'Etat, ils nous font comprendre qu'ils nous prennent pour des imbéciles. L'Etat ne connaît tout simplement pas la morale.
J-P de T: Vous ne croyez pas que les mesures prises en faveur de la protection de l'environnement porteront bientôt leurs fruits?
TM: Je suis optimiste mais à une échelle différente. Je ne vois pas l'humanité prendre la défense demain des espèces vivantes. Les prophéties de la Bible concernent pour moi les temps messianiques. "Le loup habitera avec l'agneau, nous dit Isaïe (11,6), la panthère se couchera avec le chevreau; le veau, le lionceau, et le bétail qu'on engraisse, seront ensemble, et un petit enfant les conduira. La vache et l'ours auront un même pâturage, leurs petits un même gîte; et le lion comme le boeuf, mangera de la paille." Avouez que ce n'est pas pour demain!
J-P de T: Les temps messianiques! C'est un peu long tout de même! Si vous militez pour la protection de la nature, c'est parce que vous croyez que les choses peuvent changer? Pourquoi ce pessimisme?
TM: Parce qu'en dépit de nos actions, de nos mises en garde, rien ne semble bouger.
J-P de T: Ils sont pourtant de + en + nombreux, ceux qui prennent conscience de ces problèmes.
TM: Le peu que l'on peut faire, il faut le faire, mais sans illusions.
J-P de T: Ces opérations que vous menez avec vos amis sont-elles utiles ou bien servent-elles à vous donner bonne conscience?
TM: Il est possible que nous ayons épargné quelques vies animales. Mais d'une manière générale, rien de ce que nous avons entrepris n'a suscité une réelle prise de conscience dans l'opinion.
J-P de T: Alors pourquoi poursuivre vos actions?
TM: Pour manifester nos convictions. On ne sait jamais. Il suffirait de toucher ne serait-ce qu'une seule conscience et rien de cela n'aurait été fait en vain.
J-P de T: Vous n'êtes pas très enthousiaste!
TM: Je ne dis pas qu'il ne faut pas bouger, au contraire. Tout ce qu'on peut faire, on doit le faire et même si cela ne sert pas pour l'instant à grand-chose.
J-P de T: Imaginons que ces épées de Damoclès apperlées "radiocativité", "empoisonnement alimentaire", ou "bombe démographique" ne se trouvent + au-dessus de nos têtes et que nous disposions d'un long temps pour nous parfaire, seriez-vous + optimiste?
TM: Ce serait différent. On pourrrait excuser l'homme d'être encore barbare. On attribuerait sa cruauté, son insouciance à sa jeunesse. On parierait sur sa maturité et sans doute aurait-on raison de le faire. Mais voilà, le danger nous cerne de tous côtés. "Soyez féconds, multipliez, et remplissez la terre. Vous serez un sujet de crainte et d'effroi pour tout animal de la terre, pour tout oiseau du ciel, pour tout ce qui se meut sur la terre, et pour tous les poissons de la mer: ils sont livrés entre vos mains": c'est ce que vous pouvez lire au chapitre 9 de la Genèse. Comment voulez-vous que l'aventure humainse se passe bien sous de pareils auspices? Les 3 monothéismes ont déclaré que l'homme était le rois de la Création. Mais l'homme n'est en réalité le roi d'aucun royaume. Il est prisonnier de ses instincts. Il est souvent assez consternant de constater que certains textes dans la Bible servent à cautionner ou légitimer des comportements parfaitement barbares. Voyez la citation suivant dans le livre de mon père...
"Or l'Ancien Testament n'est pas seulement sillonné par le sang des animaux immolés sur l'autel, mais par le sang des bêtes livrées aux coutels des bouchers, car la loi religieuse des Israélites, formellement consignée dans la Bible, interdisait de manger la chair d'un animal qui n'aurait pas été saigné à blanc. Le sang, d'après les croyances hébraïques, renfermait l'âme; le respect du principe vital exigeait donc le supplice prolongé des bêtes réservées à l'alimentation."
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Théodore Monod,
conversation avec J.-Philippe de Tonnac
proposé par mamadomi