La vie et la mort, Gustav Klimt
Alors qu'en Occident on oppose la vie et la mort, je serais plutôt adepte du point de vue oriental, selon lequel on oppose la mort à la naissance. De même qu'il existe dans notre société de graves difficultés pour aborder la mort, de lourds blocages entravent la naissance. On a parlé
de traumatisme de la naissance, comme ►Otto Rank qui, dans les années vingt, a publié ◄Le Traumatisme de la naissance. La naissance n'est pas forcément synonyme de souffrance ou de troubles, mais plutôt une épreuve, que l'on peut franchir, bien ou mal.
Or, dans un cabinet de thérapie, je vois plus souvent de gens qui ont mal vécu leur naissance. Evoquons donc les difficultés provoquées par une mauvaise expérience à la naissance.
Que ressort-il des témoignages? Le plus souvent, dans les cas de dépression ou d'angoisses récurrentes, le consultant ne comprend pas l'origine de son malaise. A un moment de la thérapie, une oppression se déclare: sentiment de compression, gêne respiratoire, suffocation... Puis les sensations se concentrent sur la tête. Car c'est la tête qui franchit en premier le col utérin. Ce qui se traduit par un sentiment d'avoir un anneau serré autour du crâne, par des migraines. Arrive la phase de l'expulsion qui provoque une impression de danger mortel. La personne suffoque, ou s'étrangle... pense mourir. Beaucoup d'angoisses de mort et d'étouffement sont ainsi liées à la naissance. Les expressions telles que "être enfermé vivant dans un cercueil" ne sont pas anodines et renvoient aux sensations du bébé lors de l'accouchement. Cette angoisse est d'ailleurs fondée: autrefois, il n'était pas exceptionnel que l'enfant meure au moment de l'accouchement.
La vie et la mort, Lena Ghio▲
Mais chez l'adulte les conséquences de ce moment ne se traduisent pas seulement par une appréhension de la mort: la sortie et l'accueil de l'enfant ont beaucoup d'autres répercussions tardives sur le plan de l'affectivité et des relations avec les autres sur les affections tardives. Enfin, la fessée du bébé pour recueillir son cri, le fait de suspendre l'enfant par les pieds, l'éblouissement du scialytique ont créé beaucoup de réactions corporelles durables.
Comment? Le moment de l'accueil est vécu avec beaucoup de force. Ces premières minutes d'arrivée au monde sont capitales. Il se joue quelque chose de fondamental dont on ne mesure pas assez l'importance. Ce point reste encore largement méconnu et l'idée que l'on puisse revivre sa naissance fait encore sourire nombre de scientifiques! Et cela même dans les milieux psychanalytiques, ce qui est très regrettable. Dans ces moments initiaux, en effet, s'imprime une matrice de la naissance: déterminée par les circonstances de la naissance, elle va s'inscrire aussi bien dans le corps de la personne, dans ces attitudes physiques et sa structure osseuse que dans ses réactions émotionnelles de base (confiance, rage, difficulté, impuissance, désespoir, terreur de la mort, etc....). Intervient également une dimension de tonus, d'énergie, car le bébé participe à sa naissance pour l'expulsion. Or, à ce moment, certains bébés ont une impression d'épuisement, de totale inefficacité. Ce qui entraînera plus tard des sentiments d'impuissance... Cette "empreinte énergétique" déterminera aussi la réaction de l'adulte face à l'épreuve.
La matrice de naissance comporte encore une empreinte mentale, car intervient une activation cérébrale qui favorise l'émergence des premières pensées. Dans l'univers utérin, les différenciations existent peu.
Pour le nouveau-né, la différenciation ressort des expériences contrastées. La notion du temps surgit avec la séquence rythmée des contractions. Se forme aussi la distinction de l'espace où le bébé se trouvait et celui d'arrivée, en particulier les différences de pesanteur et de température.
Ces ébauches de pensée vont contribuer à créer inconsciemment des convictions profondes, selon trois axes principaux: conviction sur soi-même (par ex se trouver fort ou impuissant devant l'adversité), conviction sur l'autre (qui est un ami ou un ennemi, et cela notamment d'après le rapport du bébé à sa mère), et conviction sur la vie (elle vaut, ou non, la peine d'être vécue). Bien sûr, cette première empreinte se modèlera au fil des années. Mais la loi du psychisme est fondée sur le principe de répétition. C'est pourquoi on a tendance, quand la naissance s'est mal passée, à faire en sorte, involontairement, que cela continue à se passer mal. On "empile" ainsi les expériences négatives.
C'est dire combien les conditions de l'accouchement sont primordiales. Ce dernier doit se préparer longtemps à l'avance. Il faut bien connaître les lieux, pouvoir participer à des groupes de parole entre parents...
Je prendrai l'ex de l'anesthésie péridurale au moment de l'accouchement. Elle est très tentante et devenue quasi systématique dans certaines maternités; on ne s'insurge pas assez sur ses conséquences pour la dynamique de l'accouchement, ni sur ses répercussions dans la vie de l'enfant. La femme doit se sentir en harmonie dans ses choix, espérer le meilleur et se préparer à l'imprévu. La préparation est donc fondamentale pour bien vivre son accouchement. Un sentiment de culpabilité peut surgir facilement chez une mère qui pense avoir failli lors de la naissance de son enfant.
Or beaucoup de femmes se rendent compte après coup qu'elles n'ont pas vraiment vécu ce qu'elles avaient envie de vivre. Et l'enfant en a pâti. La naissance est souvent éprouvante, parfois violente, et elle doit s'environner d'une tendresse particulière, ce qui demande une grande attention dans le cas où tout ne se déroule pas comme prévu. Justifié pour des raisons économiques ou de convenances, l'accouchement provoqué me semble une agression. Il ne devrait être réservé qu'à certains cas médicaux déterminés. L'accouchement par césarienne, lui, dépend énormément de la préparation de la mère. Sinon celle-ci peut être catastrophée par une césarienne d'urgence, ce qui risque d'affecter l'enfant et générer chez lui une angoisse, la peur du vide en particulier. L'enfant a besoin du processus de la naissance pour se structurer. Une césarienne bien accompagnée saura restituer à la mère et à l'enfant cette continuité structurante. De même, le décès d'un jumeau à la naissance marque très fortement le bébé qui reste en vie. Il existe vraiment un lien conscient et privilégié entre les jumeaux, qui laisse une trace ambivalente en cas du décès de l'un d'eux. Un mot enfin des naissances prématurées. Dans les unités de soins intensifs spécialisées dans leur accueil, cela fend le coeur de voir ces bébés avec sondes et aiguilles enfoncées dans les chairs, un rictus de souffrance sur le visage. Ils montrent pourtant une grande capacité de résistance, pour rester en vie. Cette volonté se retrouve chez les anciens prématurés, mêlée souvent à une carence de contact affectif. En effet, on a longtemps négligé l'extrême sensibilité des prématurés et leur immense besoin de tendresse.
Les couples ont donc à se responsabiliser et à combattre pour améliorer et à combattre pour améliorer l'accompagnement de la grossesse et de la naissance. De même que l'on accompagne les mourants, il faut accompagner l'enfant durant le processus complexe de sa naissance. Il vit quelque chose de crucial. Comme la femme souffre dans sa chair, elle peut perdre le contact avec son bébé. Il importe alors de rétablir ce contact sensoriel et affectif avec le nouveau-né, afin qu'il sente que sa mère lutte avec lui pour qu'il naisse. Et si certains contacts ne s'établissent pas dans ces premières heures entre la mère et le bébé, la relation mère-enfant en conservera la marque. Une mère qui ne peut pas toucher son enfant au moment de la naissance va garder au moins un regret. Le toucher chez le nourrisson unifie sa sensation corporelle. Le contact est essentiel, et pour la mère et pour le bébé.
Il participe à cette matrice de niassance dont je vous ai parlé: on risque donc de conditionner un être humain pour toute sa vie.
Mais il ne faut pas s'imposer pour autant des gestes que l'on ne ressent pas. Chacun, père et mère, doit pouvoir s'exprimer, choisir ses attitudes, et respecter ses émotions propres envers l'enfant.
Dr C. Massin
proposé par mamadomi