L'utilisation des résines aromatiques dans l'embaumement des morts montre à l'évidence, selon Jérôme Fracastor, leur efficacité contre la corruption et la puanteur. Les très fines particules des aromates assèchent et cimentent. Leur action est comparable à celle du sable sur la chaux ou de la farine sur l'eau. "Les infiniment petits humides" pénètrent alors dans "les très petits pores des substances sèches." Leur union ne laisse plus aucun vide et interdit toute décompostion et toute intrusion. Et cette "antipathie" des substances odorantes à l'égard du putride pourrait bien résider dans leur arôme même.
Pour Ambroise Paré, il ne fait aucun doute que le parfum des matières odoriférantes constitue leur élément actif. De nature aérienne, subtile, "spirituelle", similaire à celle des "esprits vitaux" (vapeurs de sang subtil et principe même de la vie), il pénètre directement et profondément dans les poumons et tout le corps sans rien perdre de sa vertu. C'est pourquoi, à la différnece de beaucoup de ses contemporains, Paré condamne les antidotes sans arôme, comme l'or, les perles, les pierres précieuses et surtout la corne de licorne.
En ce qui concerne cette dernière, "on ne sçait à la vérité quelle est ceste beste". Les bruits les plus contradictoires courent à son sujet. Elle naît aux Indes, en Ethiopie, dans des déserts inaccessibles. Elle ressemble à un cheval, un âne, un cerf, un éléphant, un rhinocéros. Sa corne est noir, blanche, pourpre, rayée comme la coquille de l'escargot. Les uns "disent qu'elle est la plus furieuse et cruelle de toutes les bestes et qu'elle hurle fort hideusement, d'autres au contraire la disent fort douce et bénigne, et s'amouracher des filles, prenant plaisir à les contempler, et qu'elle est souvent prise par ce moyen". Quand bien même existerait-elle, sa corne ne saurait être efficace: car les cornes n'ont ni saveur, ni odeur, à moins d'être brûlées. Seuls, "le bon air et le bon sang", qui stimulent le coeur, ont la faculté de s'opposer aux venins. Mais "quiconque trouvera de l'air en la corne de licorne, il tirera de l'huile d'un mur". Cet alexitaire sans arôme, abusant jusqu'aux rois qui en font tremper un morceau dans leur coupe pour éviter d'être empoisonnés, est donc parfaitement illusoire.
Mais quel que soit le principe de leur pouvoir, les senteurs restent, au XVIè siècle, les plus sûres alliées de tous ceux qui assistent les malades. Les conseils donnés, en 1548, par Oger Ferrier à ses confrères mettent en valeur l'importance de la panoplie aromatique des médecins. Avant de pénétrer dans la maison du pestiféré, il faut en faire ouvrir portes et fenêtres pour l'aérer puis la désinfecter par un feu odorant. Précédé d'une "eschauffette" où brûlent, sur des charbons ardents, encens, myrrhe, roses, benjoin, laudanum, styrax et clous de girofle, portant d'une main une branche de genévrier▼ et de l'autre une pomme de senteurs, un bouquet ou une éponge ibibée de vinaigre, le praticien se rend auprès du malade. Dans la chambre assainie par les fumigations, la consultation peut alors commencer. Elle va réclamer de lui des qualités de jongleur, d'équilibriste et une grande perspicacité dans le diagnostic, car c'est seulement à distance ou à tâtons et à reculons qu'il ausculte:
"Ainsi, tenant dans la bouche quelque chose de votre massapa [pâte parfumée], et tenant l'une main au près du nez avec lesdites odeurs, et ayant en l'autre ladite pièce de genevrier allumée: vous regarderez d'un peu loin votre patient et l'interrogerez de son mal et de ses accidents et s'il a douleur, ou quelque tumeur en aucune partie, le visiterez. Puis vous approcherez, et en lui tournant le dos, baillerez votre pièce de boys à quelcun qui la tienne devant votre face. et avec votre main tournée en arrière, toucherez le pouls du malade, et le front, et la région du coeur, tenant toujours quelque senteur près du nez."
Enfin, le médecin courageux, toujours muni de ses accessoires aromatiques, entreprendra une ultime tâche, la plus périlleuse de toutes: l'examen des urines et des matières fécales, mais seulement "si la condition du malade le mérite".
Annick Le Guérer
proposé par mamadomi