On ne peut voyager à travers la culture, la philosophie et la spiritualité des Indiens d'Amérique, sans voir qu'elles sont celles de chacun d'entre nous. La puissance de la vision des premiers Américains nous aide surtout à comprendre que ce nouveau mode de vie constitue l'essence de la vision des Indiens, l'essence de notre vision. Que signifie "vivre de manière écologique"? par exemple...
Notre inutilité est ce qui nous effraie le plus. La science nous a désormais largement démontré que notre monde, fragile, ne repose pas sur des lois immuables et se révèle au contraire en transformation constante, et que ce processus obéit aux lois du hasard et de l'imprévisibilité.
L'évolution n'est pas une croissance graduelle tendant vers une perfection de plus en plus grande, mais un processus régi par des forces imprévisibles et par des contingences aboutissant à l'extinction. L'homo sapiens n'est pas l'inévitable produit d'un projet planifié, mais le résultat fortuit et marginal d'une histoire de la vie qui a commencé dans le passé le plus lointain et qui se poursuivra de façon irréversible dans le futur le plus impénétrable.
Nous savons tout cela, et cela nous fait peur. Nous sommes épouvantés par une nature indifférente à nos personnes et à nos souffrances, ni mère ni marâtre, qui ne nous aime, pas plus qu'elle ne nous hait. Nous sommes terrifiés car nous avons pleinement conscience -et c'est ce qui rend notre espèce unique en son genre- de nos limites et de notre médiocrité comparées à l'infinité et à la majesté de la nature. Une nature qui ne fournit pas les réponses que nous attendons et qui ne se conduit pas selon nos calculs et nos vagues prétentions. Nous sommes des nains, et le géant ne nous prend pas sur ses épaules.
On craint ce que l'on ne comprend pas, et on finit par détester ce que l'on redoute. La civilisation occidentale hait la nature et refuse sa diversité, son incommensurable altérité, sa substantielle incompréhensibilité. Et elle s'efforce d'oublier l'objet de sa haine: elle fabrique des ersatz technologiques qui remplacent la nature et nous rendent indépendants d'elle; elle nous oblige à accepter une existence aride dans un présent éternel, séparé et distinct de l'histoire de la nature, dans lequel le temps est gaspillé par nos folies médiocres, en nous promettant une éternité qui ne nous console pas ou bien l'extase dérisoire de la décadence individuelle et sociale. Comme elle hait la nature, elle tente de la détruire: en brûlant l'énergie de la planète, vitale pour toutes les espèces vivantes, en fondant et en anéantissant la biodiversité.
Mais si la nature est indifférente à nos souffrances, elle est aussi innocente de nos fautes. Il nous appartient de revenir vers elle, de rentrer à la maison. C'est l'unique retour dont nous puissions faire l'expérience. Les Indiens d'Amérique nous apprennent justement à retrouver notre sens de la nature, à redécouvrir notre être nature et à lutter pour le conserver. Pour nous et nos enfants. Telle est la vision des Indiens.
Encore une chose, capitale. Avec la destruction de la nature, c'est non seulement la richesse de la réalité biologique qui disparaît, mais aussi et surtout sa beauté. Si, en effet, il existe une unité fondamentale de la réalité, celle-ci est sans aucun doute, comme le dit Gregory Bateson, d'ordre esthétique. Aucun ersatz, copie, mécanisme, reproduction virtuelle, film ou peinture ne peut égaler la beauté d'une forme vivante. Pourtant, l'arrogance de notre époque essaye de réfuter cette évidence, en préférant la copie au modèle original et en arrivant même à considérer la copie comme le seul vrai modèle original.
Unique parmi toutes les espèces vivantes, l'homme a en revanche justement cette chance: il est conscient de la beauté. Si au lieu de la rejeter il la recherchait, si au lieu de la combattre pour la vaincre il en renouvelait chaque jour les merveilles avec ses yeux... Prométhée devrait rendre le feu aux dieux et demander en échange un peu de bon sens: Roland devrait retourner sur la Lune, retrouver la raison et profiter de la forêt avec Angélique.
Car, heureusement, il y a davantage de choses sur terre et dans le ciel que notre philosophie ne pourra jamais en rêver.(merci William et merci Annie!)
S. Bedetti
proposé par mamadomi