Le rituel du cadeau
Souvenons-nous de la stupéfaction de nos grands parents devant l'accumulation de cadeaux sous le sapin le soi de Noël.
Le grand déballage du train électrique, du mécano, des poupées et autres jouets nous donnait irrémédiablement droit au sempiternel:
"de notre temps, nous n'avions rien de tout cela: chez nous, on recevait une pomme et trois noix!"
Même si ces remarques nous paraissaient alors excessives, leur pertinence soulignait bien l'ampleur de la dérive commerciale engendrée par l'amélioration générale du niveau de vie. Aujourd'hui, dans les milieux de stricte pratique religieuse, on continue à déplorer qu'un événement aussi fondamental que Noël dans l'histoire du christianisme soit à la source de la + spectaculaire entreprise commerciale de l'année.
Une ancienne tradition
Les textes sont formels: la coutume d'offrir des cadeaux est très ancienne, nous en avons de nombreux témoignages dès le XVè s. Pour les enfants et les enfants seulement, nous l'avons vu, jusqu'à la Réforme les cadeaux leur sont apportés à la Saint-Nicolas sous la pression protestante, le remplacement des marchés de la Saint-Nicolas par les marchés de Noël, adultes et enfants se retrouvent tous le 24 décembre pour la distribution des cadeaux.
Que s'offrait-on vers 1580
dans l'Europe Rhénane?
Retenons d'abord les cadeaux chargés d'une valeur symbolique en relation + ou moins étroite avec le rituel de Noël ou le solstice d'hiver. Les fruits figurent obligatoirement parmi les 13 desserts du repas de Noël provençal. Les pommes et les noix en étaient les représentants obligés et continueront à être offerts jusqu'après la 1ère guerre mondiale. Des 2 côtés du Rhin, le pain d'épice figure aussi parmi les inévitables cadeaux qu'on se faisait même entre adultes. Il fut longtemps chargé des valeurs symboliques d'amitié et de fidélité. Il faut décorer le sapin, ce qui permettait aux enfants, lors du démontage, de recevoir un 2ème cadeau. Les cadeaux se réduisaient-ils vraiment à ces seuls aspects comestibles? Certes non. Les sources alsaciennes des XVè et XVIè s. nous apprennent qu'on offrait également des vêtements et même de l'argent.
Bien entendu, les disparités sociales, la faiblesse du niveau de vie, le manque d'argent liquide des sociétés rurales vivant en quasi autarcie ne permettaient pas toujours de donner un grand relief à la cérémonie des cadeaux. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que ces sociétés renferment en leur sein des artisans, sabotiers, charrons, tonneliers, menuisiers, etc..., et que beaucoup de paysans profitaient des sermaines d'inactivité de l'hiver pour fabriquer eux mêmes ustensiles divers et objets utilitaires.
Aussi, dès le XVIIè s., on trouve trace de cadeaux de Noël qui sont des jouets en bois + ou moins bien ouvragés. Cela pouvait aller de la poupée dont seule la tête était sculptée, le corps et les membres étant en tissu bourré de son, jusqu'à l'attelage complet avec le couple de boeufs ou de chevaux précédant la voiture à ridelles. Ce type de cadeaux n'étant d'alleurs pas toujours anodin et pouvait revêtir une valeur pédagogique. C'est ainsi que dans la vallée de Munster en Haute Alsace, les enfants
"recevaient de leur père, entre autres, des "Stekeleküeh": des bâtonnets taillés en forme de vaches, de veaux et de taureaux avec lesquels ils apprenaient à gérer leur cheptel et à mâitriser la vie économique à laquelle ils seront confrontés étant adultes". G. Leser
On serait tenté de ranger dans la même catégorie certains cadeaux que les pecheurs bretons faisaient à leurs enfants: des bateaux de pêche miniature qu'ils avaient confectionnés les jours où la mer était trop grosse pour s'y aventurer.
Revenons aux adultes pour souligner que dans les rapports sociaux très étroits qui tissaient les communautés urbaines et rurales au moins jusqu'à la révolution, le cadeau de Noël est un rite obligatoire. Au sein des corporations de métiers, le maître, le patron, se devait de faire un cadeau au compagnon qui a travaillé pour lui toute l'année écoulée, cadeau à la mesure de la satisfaction que le travail de l'employé avait donné à l'employeur. Il en va de même à la campagne où, avant la mécanisation, les paysans aisés travaillaient, secondés par une nuée de valets de fermes et de servantes. Ces domestiques, du moins ceux qui étaient attachés à la maison du maître depuis un certain temps, perticipaient à la fête de Noël et trouvaient sous le sapin, des chaussures, des vêtements et souvent aussi une pièce de monnaie: "le Taler de Noël".
Il s'agit là d'un rituel qui ne doit rien au hasard ou à une mansuétude quelconque. Nous sommes ici au coeur du pacte social entre celui qui donne le travail et possède du bien et celui qui fournit son travail et ne possède rien. Le patron, maître artisan ou propriétaire terrien s'acquitte de ce rituel comme d'un devoir: il donne, pour recevoir un travail de qualité. L'employé, valet de ferme ou compagnon, estime que ce rituel lui est dûr mais il sait également qu'il doit apporter sa quote-part de travail en échange. Les relations parents-enfants dans la période de Noël sont-elles d'ailleurs si éloignées de cette philosophie:
"Si tu n'es pas sage, le père Noël (ou le petit Jésus) ne t'apportera rien!"
Catherine Baillaud
cailles en croûte de pain d'épice et compotée d'oignons... clic
proposé par mamadomi
rééd° du 14 12 13