Le printemps est beau partout mais en Syrie, il est sublime. C'est l'esprit d'un dieu inconnu qui voyage hâtivement et qui ralentit sa course quand il arrive en Syrie, pour converser avec les esprits des rois et des prophètes qui flottent dans les airs. C'est un souffle heureux qui entonne avec les rivières de Judée les cantiques éternels de Salomon, commémorant avec les cèdres du Liban les souvenirs de la gloire passée.
Nettoyée de la bourbe hivernale et des poussières estivales, la ville de Beyrouth apparaît au printemps plus belle qu'en aucune autre saison. Après les pluies et avant la chaleur, elle est telle une sirène émergeant des eaux limpides de ses rivières et se séchant aux doux rayons de son soleil.
Par un jour caressé du souffle enivrant d'avril, je suis allé rendre visite à un ami qui habitait une maison à l'écart des bruits de la foule. Tandis que nous conversions, devisant de nos aspirations et de nos attentes, un homme distingué entra. Il était âgé d'une soixantaine d'années, sa mise était simple et les rides de son visage lui conféraient de la dignité et appelaient le respect. Je me levait révérencieusement pour le saluer et mon mai me présenta M. Fâris Karamé puis lui dit mon nom en retour, ajoutant quelques termes élogieux à mon endroit. Le vieil homme aux cheveux blancs me regarda avec attention et se prit la tête à deux mains comme s'il voulait se souvenir d'une image à l'ancienne qu'il aurait oubliée. Puis il eut un sourire affectueux et dit: "Tu es le fils d'un ami de ma jeunesse. Comme je suis heureux de te voir et espère retrouver ton père à travers toi!"
Khalil Gibran